Eh bien nous y voilà, de l’autre côté de ce détroit, de ces « colonnes d’Hercule » qui ont marqué si longtemps le bout du monde civilisé, quand on arrivait de l’Est, c’est-à-dire de Tyr, Phocée, Carthage ou Rome. D’un côté, nous changeons de continent, non seulement géographique, mais aussi culturel. D’un autre côté, il s’agit toujours en fait de la même terre que l’Andalousie, avec le même climat et les mêmes cultures : le rocher de Gibraltar se voit parfaitement des remparts de Tanger, et le dépaysement n’est que très relatif : c’est l’avantage de notre voyage par voie de terre. D’autant plus que l’accueil proverbial des marocains a fonctionné dès le pied posé à Tanger.
Nous avons souhaité un temps d’acclimatation pour notre entrée au Maroc, avec deux premières nuits à Tanger ; nous avons pris le temps de visiter sa Casbah, ses grand et petit « Socco » (places de la médina) et son « vieux » quartier européen, en découvrant le thé à la menthe, les cireurs de chaussures … et les dealers qui infestaient le terrain vague jouxtant l’hôtel. Le site de cette ville internationale est superbe, et l’animation de ses rues fait oublier l’état de délabrement des immeubles coloniaux.
120 kms d’excellentes routes plus loin, ponctuées de jeunes gens brandissant des paquets de kif, et après une pause thé/café à Tetouan (300.000 habitants – ancienne capitale du Maroc espagnol), c’est Chefchaouen, capitale religieuse du Rif, qui nous accueillait pour une nouvelle escale pittoresque. Sa médina, accrochée aux pentes du Djebel Tissouka dont les 2000m étaient couverts de neige, est quasi intégralement – murs comme sols peinte dans une gamme de bleus les plus divers ; le spectacle vaut le détour ! Quand à l’accueil des chaouenis, il fait complètement oublier qu’il y a moins d’un siècle, tout chrétien qui y était surpris était empoisonné ; le premier qui en revint vivant était Charles de Foucault, qui s’était déguisé en rabbin !
Nous n’avions plus alors qu’environ 200 kms pour atteindre Fès, notre destination provisoire. Après la montagne boisée comme en Europe, la route descend plein sud dans la plaine où la terre et les oueds sont rouges de limons fertiles. Les routes sont presque aussi roulantes, n’eussent été la pluie qui les rend boueuses, et du gasoil sur la route pendant une dizaine de kilomètres – c’est comme du verglas , épreuves dont nous sommes sortis à peine émus, mais un peu crottés.
C’est à Fès en effet que, première ville « mythique » de notre périple autour du monde, nous souhaiterions jeter l’ancre jusqu’au printemps, nous donner le temps de découvrir le Maroc autrement que comme des touristes, y vivre « comme des expatriés ». Et de cette capitale royale, à l’incroyable médina dont les murs millénaires enferment quelque 150.000 habitants (Fès en compte un million …), nous espérons, si nous y trouvons un gîte accueillant pour un coût raisonnable, pouvoir explorer bien sûr le Maroc dans tous les sens avant de poursuivre vers l’est. Pour l’instant, nous avons commencé, à deux sur la même moto, des circonvolutions autour de la médina pour en prendre la mesure, les dénivelés, et l’inventaire des portes d’accès. Philippe tient le guidon, et Véronique la carte ; dialogue : lui « On va où ? » elle « à gauche » – Il va tout droit – elle « ??!! » (intraduisible) lui « je te demande ton avis et c’est moi qui décide où on va » ; on s’est beaucoup perdu ! Puis nous sommes lancés à pied, et avons trouvé une maison d’hôte pour deux nuits derrière les murs après trois nuits dans un hôtel de la ville européenne ; comme il pleut à verse depuis que nous sommes arrivés, et que le charme de la ville tient entre autres à l’ombre de ses cours et murs par gros soleil, cela semble un peu glauque de prime abord, mais l’hôtesse me fait penser à Véronique accueillant ses étrangères à la maison à Paris il n’y a pas si longtemps : une vraie Maman !
Là-dessus, Marie Noëlle et Christophe viennent de nous annoncer l’arrivée d’une petite Lea née le 18 décembre à Paris ; nous venons de trouver à caser nos motos dans un garage et sautons dans un avion pour venir lui souhaiter de vive voix bienvenue dans la famille Perrin.
Nous souhaitons à tous de joyeuses fêtes de fin d’Année !