4 – En Libye… et juste avant… et juste après !

EN QUITTANT LA TUNISIE
Nous vous avions quittés à Djerba, au lendemain du départ précipité du Président tunisien Ben Ali, et à la veille de passer dans un pays a priori plus calme, la Libye. Et en effet, le lendemain dimanche 16 janvier, nous avons eu quelques belles émotions entre Djerba et le poste frontière de Ras Ajdir. D’abord, à l’entrée de la ’chaussée romaine’ qui relie l’île au continent africain, une démonstration de force de l’armée : des soldats en évidence sur les toits, et un camion équipé d’une mitrailleuse 12,7mm. Quelques kilomètres avant Zarzis, un second barrage de l’armée où des trouffions nous pointent avec leur fusil jusqu’à l’arrêt complet des motos ; mais on ne nous pose que quelques questions. La traversée de Zarzis nous montre une ville en état de siège : magasins fermés, beaucoup de monde en petits groupes dans les rues, deux automitrailleuses aux deux principaux carrefours. Alors que nous nous croyons enfin tranquilles, à la sortie de Zarzis, un premier vrai contrôle par des militaires, qui pointent sur nos ventres leurs fusils équipés de baïonnettes, et nous demandent nos papiers. A l’entrée de la digue de Naoura (photo), deuxième contrôle des papiers, mais le sous officier est illettré, et veut se faire montrer nos visas d’entrée / Autorisation de circuler / Correspondance avec le n° des plaques d’immatriculation etc… Nous avons encore la ville de Ben Guerdane à traverser… un barrage de pierres y coupe toute la route et est tenu par de jeunes excités qui nous acclament le pouce levé ; nous passons par les trottoirs, avec le sourire bien sûr, pour tomber, 300 mètres plus loin, sur notre dernier barrage, avec automitrailleuse, pour un troisième contrôle de nos papiers, un peu nerveux ; mais ils ne semblent guère avoir envie d’aller voir 300 mètres plus avant ! Nous arriverons un peu en retard à notre rendez-vous à la frontière avec notre « réceptif », Fadel, envoyé de Nozha Voyages, mais il est vrai qu’ici, chacun sait mieux que chez nous que seul Dieu est maître de nos vies… et de notre emploi du temps. Une petite anecdote d’abord pour vous mettre en ambiance libyenne.

EN LIBYE
Quand nous avons quitté le site de Ptolémaïs, au bord de la mer, dans la plaine côtière du nord de la Cyrénaïque (quelques photos commentées dans l’album ci-joint), nous n’avons pas prêté d’attention particulière au fait que notre guide, Mohammed, téléphonait de son portable ; nous étions juste un peu frustrés d’avoir à le suivre au pas sur la belle route, presque « de montagne », qui escalade le Djebel al Akhdar (la montagne verte), alors qu’elle incitait à essorer un peu la poignée des gaz ; au sommet, nous avons changé de pays : la route court tout droit dans des champs à perte de vue, d’un vert tendre étincelant, parsemés de petites fermes pimpantes, dont les trois portiques de façade marquent souvent qu’elles ont été construites par des colons italiens entres les deux guerres ; cela nous changeait des 2.500 km de désert parcourus depuis Sousse ! C’est alors que Mohammed, dans sa voiture devant nous, s’est mis à rouler à plus de cent km/h ; difficile de prendre des photos du guidon dans ces conditions ! Surtout que, dans mes rétroviseurs, apparaît soudain un gros 4×4 qui semble vouloir me dépasser en me collant ; je serre le bas côté avec mon clignotant… mais non… il reste collé à mon topcase, avec ses warnings allumés ; nous avions vécu la même expérience la veille, en entrant dans Benghazi (Véronique : « Il y a quelqu’un qui nous suit ! ») : il s’agit de ces messieurs de la sécurité, qui tiennent à nous montrer, autant à nous qu’à notre Mahmed, qu’ils sont là, qu’ils veillent ; ils ont probablement demandé à celui-ci de les prévenir quand il quitterait Ptolemaïs, puis de rouler lentement pour qu’ils puissent nous rattraper ; 40 km plus loin, ils s’évaporent ; et quand je demande à Mahmed quel est ce genre d’intimidation, il répond que chacun fait son métier, lui le sien, et eux le leur : imparable !

Quand on pénètre en Libye, dès les premières heures, nous sommes frappés par plusieurs nouveautés que nous n’avions jamais rencontrés ni en Afrique noire, ni lors de nos derniers voyages :
– d’abord, les Libyens conduisent comme des fous ; pas « mal », non ; mais ils se prennent tous pour des as du volant ; ils aiment faire crisser leurs pneus, dans les carrefours en ville comme au démarrage ; il n’y a ni limitation de vitesse, ni apprentissage de la conduite, ni aucun contrôle de sécurité routière : tout semble permis. Bien sûr, les normes de construction des routes ne sont pas les mêmes que chez nous ; l’absence de barrières de sécurité permet de faire demi tour sur les autoroutes, dont la bande centrale peut servir de pâture aux moutons, leurs chiens et leur berger. Les accidents mortels sont tels que la circulation des camions est interdite de nuit depuis deux ans : un de nos fidèles lecteurs, Jean Paul, qui se reconnaîtra, aurait-il quelques statistiques en la matière à fournir à nos lecteurs par un message sur le blog ? Ce qui est sûr, c’est que nous sommes arrivés à Tripoli (1,5 millions d’hab), en suivant la voiture de notre Fadel, un peu fatigués et à la nuit tombée – nous étions le matin à Djerba, avions passé la frontière … et visité les ruines de Sabratha (voir photos) – à l’heure où les Tripolitains partent travailler et s’amuser, et que la situation a réveillé Véronique au point de la croire place de l’Etoile, en bref, parfaitement à l’aise dans le trafic décrit comme mortifère par tous les guides touristiques !
– Ce qui frappe ensuite, c’est que la Libye est un pays socialiste depuis quarante ans, et d’un socialisme paternaliste et redistributif qui aurait les moyens de s’en payer le coût, grâce à ses recettes pétrolières ; comme il est interdit de posséder un logement loué à quelqu’un d’autre (« La maison à celui qui l’habite »), l’Etat construit à tour de bras (à l’entrée sud-est de Benghazi, les Chinois terminent le gros œuvre d’une cité de 50.000 logements : du Sarcelles s/Sable !), et prête l’argent nécessaire aux acquéreurs : 90% de la population est urbanisée, moins de 10% vit du secteur primaire. Le commerce privé, qui a longtemps été interdit, n’a pas bonne presse, et il est impossible de faire ici officiellement fortune. Ce socialisme est également islamique : l’alcool est rigoureusement interdit partout ; ce socialisme est aussi xénophobe : les « taxis » (mot à l’évidence d’origine anglo-saxonne… !) ont été débaptisés « voitures de louage », et surtout, surtout, l’alphabet latin est interdit dans l’espace public, ce qui peut être assez déconcertant ! Le résultat, au moins apparemment pour l’idée que peuvent s’en faire des visiteurs qui, comme nous, traversent le pays en 12 jours, c’est d’un côté que les gens ne semblent que très peu travailler, ou avec peu d’ardeur ; qu’ils ne traînent pas dans les cafés (quasi inexistants) puisqu’ils ont un « chez eux » ; qu’ils n’ont aucune raison formelle de se plaindre ; et qu’ils vivent dans une « bulle » : les évènements qui affectent leurs deux voisins, la Tunisie et l’Egypte, leur confirment les bienfaits du système libyen ! Pour les touristes que nous sommes, cela veut dire en pratique : pas de cafés en terrasse (pas même sur les superbes marina et corniche de Tripoli et Benghazi), pas de souks animés, pas d’autres restaurants que des « fast food » locaux, des hôtels, éventuellement luxueux mais le plus souvent minables, au personnel lymphatique et négligent, à l’image de la demi douzaine de musées que nous avons visités : en général poussiéreux, mal éclairés, et aux explications en arabe : le tourisme n’est manifestement pas une des priorités actuelles de l’Etat !
– Ce qui frappe enfin, bien sûr, c’est le côté « sécuritaire », qui nous met en tutelle dès le pied posé dans le pays : un « guide » nous accompagne partout (120 €/j avec sa voiture – il a refusé de monter sur la moto), nos passeports restent à la réception des hôtels ; il n’y a pas de boîtes aux lettres dans les rues, ni de service Internet sur les portables, et les éventuelles connexions wifi obtenues dans les hôtels sont en général coupées au bout d’une ½ heure ; si on roule « vite » (cf. ci-dessus !), il faut cependant s’arrêter tous les 50 km environ à des barrages de police à qui notre guide remet la photocopie, préparée à l’avance, d’un état portant nos états civils complets et ceux de nos motos ; éventuellement, un gradé réfère de notre passage par téléphone avant de nous laisser repartir. Sans parler de ces messieurs de la sécurité évoqués plus haut. Le système évoque ce que nous savons du système soviétique d’il y a trente ans, et le désert égyptien nous a paru hier, dès le passage de la frontière, d’une beauté incomparable débarrassé de la voiture qui nous précédait !

A côté de ces « nouveautés » dans notre vie de globe bikers, la Libye s’est montrée encore plus belle qu’espérée, ainsi que les trop nombreuses photos ci-jointes tentent de vous le montrer. D’abord, le temps a été idéal pendant tout notre séjour : grand beau / bleu / sec, presque frais, sauf sur quelques sites visités sous nos vestes de motos. Ensuite, faire près de 2.000 km avec de l’essence à 0,12 €/litre, cela compense partiellement les surcoûts évoqués ci-dessus. Nous avons aussi fait quelques belles rencontres, comme ces Tunisiens émigrés, émus de croiser quelqu’un venant du pays ; ou cette vieille et grosse femme claudiquant à la frontière de Ras Ajdir, qui découvre que, sur cette moto, Véronique est une femme : stupeur, puis grand sourire, et clin d’œil avec le pouce levé ! Cet ami d’amis enfin, Nicolas, expatrié à Tripoli, qui, sur un simple sms, nous envoie son chauffeur à l’hôtel au dam de notre cerbère, et nous reçoit impromptu en toute simplicité, tout seul chez lui, au milieu des très belles compositions de son épouse Virginie alors encore en France.
Il y a enfin et surtout les extraordinaires sites gréco-romains de Sabratha et Leptis Magna en Tripolitaine (à l’Ouest, autour de « Tripoli », la triade de villes, « Oea » étant la troisième, sous la ville de Tripoli), et de Ptolemaïs, Cyrène et Apollonia en Cyrénaïque.
La Libye est un désert « trait d’union », dont la côte s’organise autour du golfe de Syrte, frontière entre le Maghreb à l’Ouest, et le Machrek à l’Est ; le Sahara remonte ici jusqu’à la Méditerranée ; quand les Phéniciens partent fonder Carthage, ils trouvent des relais sur les côtes de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine, avec abris portuaires et eau douce. Les Grecs ensuite, dès le VIIème siècle BC, viendront fonder des colonies sur la côte africaine. La Cyrénaïque dépendra ensuite des Lagides d’Egypte (deux Ptolémée auront des épouses cyrénéennes qu’ils combleront de richesses), tandis que la Tripolitaine fera partie des royaumes numides entrés dans le jeu politique entre Rome et Carthage. Les empires romains puis byzantins régneront ensuite sur ces rivages, avant qu’ils ne subissent les vicissitudes des différents conquérants arabes partis à la conquête du Maghreb ou à la reconquête de l’Egypte qui en deviendra fatimide, sans oublier qu’ils furent le théâtre de la « guerre du désert » entre Rommel et Montgomery en 1941/1943.
Nous avons été particulièrement séduits, même s’il reste beaucoup à faire, par la qualité du travail des archéologues italiens qui ont magnifiquement mis en valeur les talents urbanistiques de nos ancêtres grecs et romains ; ces sites, qui ont tous la Méditerranée en toile de fond, sont de loin les plus beaux que nous ayons pu admirer depuis que nous avons entrepris notre tour de la Méditerranée !

NOTRE ENTREE EN EGYPTE
Un mot pour finir sur notre entrée en Egypte. Nous avons quitté la Libye jeudi 27 janvier, et ne sommes restés qu’environ 3h30 en formalités douanières ; il faut dire qu’il n’y avait personne, et que nous avions non seulement déjà nos visas, mais aussi le « triptyque » (Carnet de Passage en Douane, CPD pour les intimes), sésame indispensable pour entrer avec un véhicule en Egypte ; il est très simple de l’obtenir, auprès de l’Automobile Club à Paris, en échange d’une caution de… 250% de la valeur vénale du véhicule, qui est restituée à leur retour en France. Vous comprenez pourquoi peu de gens viennent jusqu’en Egypte avec leur voiture ! Depuis jeudi soir, nous sommes donc dans un magnifique hôtel de Marsa Matrouh, à 280 km à l’Ouest d’Alexandrie, avec wifi jusque dans la chambre, et plage de rêve à 50 m. Mais le lendemain, c’est vendredi, et de grandes manifestations sont organisées dans tout le pays ; l’Internet est coupé, tout comme le téléphone ou même les sms ; et c’est à nouveau le couvre feu, notre deuxième du même mois de janvier 2011 ! Nous sommes allés deux fois faire un tour en ville jusqu’à un restaurant recommandé par le Routard ; pas de chance, juste devant, des policiers avec casques, matraques et boucliers se mettaient à charger quelques dizaines de jeunes à 100 mètres de là ; et nous avons jugé plus prudent de rentrer garer la moto et déjeuner à l’hôtel. De plus, un premier vent de sable nous a consignés vendredi dans la chambre : journée « blog » pour Philippe, et « croquis » pour Véronique. Samedi, le temps s’est remis « à l’hiver », comme ils disent ici, c’est-à-dire au beau, mais l’Internet n’est pas revenu. Différents contacts à Alexandrie nous ont décidés à rester pour le moment ici, au calme, loin des évènements.
Nous avons plein de plans différents pour l’avenir, en fonction de l’évolution des évènements, y compris celui de prendre le ferry direct Alexandrie-Venise qui part tous les dimanches soir (et n’arrive que le mercredi !). Nous vous le promettons à tous, nous sommes prudents ! Et espérons retrouver rapidement l’Internet pour vous faire parvenir cette trop longue note !

Pour voir l’album sur PICASA, cliquer sur la légende de la petite photo en tête de l’article (“4 – En Libye”).

7 thoughts on “4 – En Libye… et juste avant… et juste après !”

  1. Inoubliable périple ! De plus, je n’ai jamais entendu quelqu’un être allé faire du tourisme en Lybie ! Donc vous êtes des “bienfaiteurs” qui partagez l’experience et mettez a la disposition de vos amis des photos magnifiques !
    Bravo mais rentrez vite vous mettre a l’abri a Paris !
    Bises
    Viviane

  2. Bravo pour votre persévérance et votre débrouillardise. Bon courage pour la suite. Tous ont été contents d’avoir de vos nouvelles.
    Bien amicalement.Marc.

  3. Bravo pour votre persévérance et votre débrouillardise. Bon courage pour la suite. Tous ont été contents d’avoir de vos nouvelles.
    Bien amicalement.Marc.

  4. Contente et soulagée d’avoir de vos nouvelles… vite, même si c’est à regrets (sûrement)… rejoignez des zones plus calmes, celles que vous aviez choisies semblent bien turbulentes !- Bien amicalement A. de Mérindol

  5. Puisque je suis interpellé sur la sécurité routière en Lybie, je me dois de répondre ! Malheureusement, je n’ai souvenir d’aucune statistique sur les hécatombes de la circulation dans ce pays. ça doit pourtant exister quelque part dans un tableau de l’Organisation Mondiale de la Santé, mais franchement, la fiabilité de tels chiffres est sujette à caution. La seule fois que j’ai rencontré un Officiel lybien pour parler de sécurité routière, c’était il y a cinq ou six ans à Carthage – confrontation des expériences entre l’Europe et les pays du Sud de la Méditerranée. Lorsque j’avais annoncé dans mon exposé qu’il y avait trois causes essentielles de mortalité routière en Europe, et parmi elles l’alcool, le Monsieur lybien m’avait interrompu pour réclamer l’interdiction immédiate, totale et définitive de consommer de l’alcool en Europe. Bon sang, mais c’est bien sûr, aurait dit l’inspecteur Bourrel, comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Ceci dit, nos hôtes à cette conférence (l’association tunisienne pour la prévention routière) étaient des gens charmants, avec des idées pragmatiques, mais bien peu de moyens. Je me souviens qu’ils concentraient leurs maigres ressources sur la sécurité des enfants circulant à pied entre l’école et le domicile.

  6. nous attendons des nouvelles alors que la situation est en train de changer.
    Bravo et merci pour vos photos, mais surtout pour les croquis de Véronique. J’adore et je ne te connaissais pas ces dons
    marie-annic

  7. Chouette de lire des descriptions de la Lybie de l’intérieur avec toutes les nouvelles qu’on entend. Vous apparaissez comme des vrais aventuriers, quand je dis que mes parents retraités étaient en Tunisie, en Egypte et en Lybie avec leurs motos, ca en mets plein la vue!

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