7 – Pèlerinages !

 

7 - Pélerinages

7 – Pélerinages

Commencer notre tour du monde par le Maroc paraissait tout naturel parce que les maisons de nos parents respectifs ont toujours été pleines d’objets et bijoux marocains, sans parler des albums de photos.

Les Clédat – Ce n’est qu’arrivée à Fès que Véronique a réalisé qu’il n’y avait pas seulement eu ses grands parents maternels à Meknès pendant plus de vingt ans, mais aussi ses grands parents paternels à Fès pendant quelques années, entre 1923 et 1926. Le Capitaine de cavalerie Robert de Clédat fut en effet en garnison à Fès avec son épouse Odette Favin Levêque et leurs trois enfants, Hubert, Martial et Solange. Martial est le père de six enfants, dont Véronique. Cette dernière a donc demandé plus de précisions sur ce séjour à son frère Hubert, généalogiste archiviste de la famille, lequel a immédiatement envoyé par email quelques rares photos et documents d’époque dont la plupart figurent ici en annexe ou album … et ont pu être recoupés sur le terrain. Parmi eux un succulent « Projet d’excursion » de la main du capitaine de Clédat méritant le détour Projet d’excursion Sidi Harazem.doc. Il en résulte l’esquisse très vivante d’un tableau de la vie d’un officier de cavalerie menant la joyeuse vie coloniale quand il ne faisait pas la chasse aux « partisans » d’Abdelkrim pendant la sanglante guerre du Rif ; malgré les protestations de Lyautey, la guerre menée par Pétain fut féroce et radicale ; menée conjointement avec l’Espagne, Franco y gagnera galons, notoriété, et goût pour la manière forte, mais y perdra … un testicule. Vous trouverez plus de détails dans les légendes des photos.

Les Compreignac – A Meknès en revanche, nous savions que Betty, la femme du Martial ci-dessus, la maman de Véronique, avait été pensionnaire pendant ses trois années de lycée après avoir grandi sur le « bled » d’El Hajeb avec ses parents Robert et Madeleine de Compreignac. La famille était arrivée en 1928 ; sa sœur Poupette et son frère Pierrot étaient nés à Meknès. Nous n’en savions guère plus. C’est un fils de Poupette, Patrick de Laâge, résidant à Casablanca, qui viendra nous rejoindre quelques jours avec sa Yamaha 125cc pour nous faire visiter les lieux … et nous faire partager ses archives personnelles. Parmi elles, outre quelques aquarelles de Bonne Maman, un extraordinaire plan cadastral de la plaine du Saïs de Meknès à El Hajeb, sur lequel figure le bled Compreignac, mais qui montre surtout que l’ensemble des parcelles étaient exploitées par des agriculteurs français. Nous avons fait alors deux rencontres éloquentes : d’abord celle de l’un des frères TOUAB qui exploitent aujourd’hui les terres « de Bon Papa » ; résidant à Meknès (40 kms), et ne s’entendant pas avec ses frères pour les investissements, il dit souffrir du manque d’ardeur et du mauvais esprit des ouvriers agricoles ; d’où la mécanisation maximum. Ensuite une famille d’agriculteurs français venue prendre en fermage il y a deux ans un bled de 200 ha à Boufakrane appartenant à l’état marocain ; comme M. TOUAB, M. JANVIER se plaint de l’esprit frondeur des ouvriers agricoles, investit en mécanisation, et habite Meknès ; mais il a déjà recédé ce premier fermage après remise en état du bled, et en vise un second de 700 ha … les agriculteurs français reviendraient-ils ? La visite sur le bled d’El Hajeb aura par ailleurs été pour nous l’occasion de tester un peu nos motos sur piste et boue !

De retour à Meknès, Véronique s’est fait chaperonner par Sœur Dominique (dite Daouia, franciscaine) pour faire des emplettes de broderies au point dit « de Meknès », aujourd’hui introuvables et visiter le pensionnat de sa mère, qui s’appelle toujours « Notre Dame » et accueille 600 élèves. Il est situé juste en face de « Cornette », où sont nés Patrick et sa mère Poupette.

Tout cela ne nous aura guère laissé le temps de visiter les beautés de Meknès avant de reprendre la route en descendant vers l’Océan et Rabat, où nous sommes restés deux jours complets en compagnie de Patrick. Nous y avons joué aux touristes parfaits, laissant passer les averses en nous réfugiant dans des cafés « maures » ou des musées. Entre les averses, un gros soleil sur une mer agitée faisait chauffer les couleurs et les contrastes. La ville est aérée et pleine d’élégants témoins d’une longue histoire remontant aux Phéniciens et aux Romains, puis agitée par la piraterie et les révoltes des tribus berbères. C’est au Musée archéologique de Rabat qu’on peut admirer les bronzes trouvés à Volubilis, notamment un Caton (dit d’Utique, il fut le dernier adversaire battu par César après Pharsale, d’où son surnom de « dernier romain de la République »), un Juba II (roi berbère lettré, marié à la fille de Cléopâtre et Antoine) et un « éphèbe couronné de lierre », tous coulés autour du début du 1er millénaire.

Notre cousin Patrick nous a ensuite accueillis à Casablanca dans son appartement pour achever notre remise en condition : chauffage, eau chaude avec pression, Internet rapide et terrasse ensoleillée nous ont permis pendant quatre jours non seulement les lessives, blog, téléphones, pneu de la Transalp de Véronique, et autres petits réglages à parfaire avant notre tournée vers le Sud, mais aussi de visiter les pauvres ressources touristiques de cette ville surtout embouteillée, mal entretenue et bruyante.

Prochain rendez-vous dans une quinzaine de jours à Agadir, si la famille Guillet est toujours prête à nous accueillir. La météo à Beni Mellal annonce -2°C le matin pour le week end prochain

6 – Trois semaines dans la médina de Fès

6 - Trois semaines dans la médina de Fès

6 – Trois semaines dans la médina de Fès

S’installer pour plusieurs semaines chez l’habitant dans la plus grande médina du monde est une expérience inoubliable. Nous sommes en hiver (entre 1° et 3° C la nuit, 8° à 12° le jour), et, en cet hiver 2010, il y pleut pratiquement tous les jours. Les maisons s’y entassent dans un invraisemblable empilement anarchique de ruelles étroites qui labyrinthent sur les pentes de collines souvent très raides. Si l’ensemble est peut-être confortable lors des fortes chaleurs, aménageant cours ombragées et courants d’air, les maisons n’y sont pas chauffées, et nous nous glissons la nuit d’abord dans notre sac de couchage avant d’insérer le tout sous les couvertures. La médina est entièrement enserrée dans des remparts ondulant sur les collines ; ils sont percés de portes (« Bâb »), souvent somptueusement décorées, environ tous les 500 m. Comme dans toute grande ville, elle s’organise autour de dizaines de quartiers ayant chacun mosquées et hammams, ainsi que des activités ou commerces spécialisés. Dès qu’on s’écarte des deux « grandes » ruelles touristiques qui descendent de la porte principale Bab Boujloud vers l’oued Fès et l’immense mosquée Quaraouyine (fondée par une pieuse femme de Kairouan au IXème siècle), il est très facile de se perdre dans le dédale des souks et quartiers d’habitation de plus en plus populaires au fur et à mesure que l’on va vers l’Est. Même dans ceux-ci, la plupart des habitants parlent suffisamment français pour vous remettre dans la bonne direction … que vous aurez reperdue trois coins de rue plus loin, n’ayant pas pu refuser d’entrer dans tel ou tel atelier d’artisan fier de vous montrer son ouvrage.
Quelque cent cinquante mille fassis vivent et travaillent entre les remparts. L’approvisionnement des marchés pour la vie quotidienne des habitants (viandes, poissons, fruits et légumes, épicerie, quincaillerie, vêtements, ameublement, …) tout comme celui des milliers d’ateliers artisanaux (ébénisterie, maçonnerie, plomberie … avec aussi bien sûr le célèbre « artisanat » de Fès) génère une intense circulation dans ces ruelles très étroites et souvent si pentues qu’on y aménage des marches. Les moyens de transport les plus usuels sont le mulet, l’âne, la charrette à bras et le dos d’homme, tout engin mécanique étant impossible d’utilisation. On transporte ici des peaux de mouton fraîchement écorchées vers la tannerie à ciel ouvert au milieu de la ville ; on enchère là sur les peaux tannées. On martèle ici le cuivre ; on tisse ou brode là à la manière berbère. On taille ici le marbre funéraire ; on applique là minutieusement un décor de peinture sur des huisseries sculptées. On arrime ici un 3ème colis d’1m3 et 60kgs sur un mulet chancelant ; on court là à grands cris et force coups de bâton après un bourricot qui a entraîné ses cinq frères aussi surchargés que lui dans la mauvaise rue. Et partout bien sûr, les souks où l’on fait des affaires !
Au milieu de tout cela, d’innombrables fontaines publiques richement décorées où chacun s’occupe ; des fondouks (littéralement « hôtels » … pour les marchandises, avec des chambrettes pour leurs commerçants) organisés sur trois étages autour de leur cour plus ou moins rectangulaire ; les mausolées de tel pieux cheikh ou imam ; les mosquées bien sûr, avec leur minaret, leurs salles d’ablution, et leur salle de prière donnant directement dans la rue, par les portes desquelles s’engouffrent ou se déversent les foules en burnous cinq fois par jour, tel un torrent pressé. Et puis, derrière de nombreuses portes pas forcément riches ni entrouvertes, peuvent se découvrir si l’on ose les pousser, des « medersas » (pensionnats coraniques), des « dar » (maisons bourgeoises), des « riad » (maisons avec jardin), ou des palais dont l’immense majorité a été construite depuis le XIXème siècle et se trouve au bord de la ruine, la restauration trouvant manifestement plus facilement des fonds pour les mosquées ou mausolées.
L’ensemble donne une impression de grouillement fouillis et très actif, où se côtoient richesses ostentatoires et indigence. L’eau courante, l’électricité et le tout à l’égout fonctionnent à peu près normalement, et les rues sont globalement propres compte tenu de ce qui s’y passe.
La famille Sahni chez qui nous habitons possède une maison tout à côté de la Bab Ziat, dans les beaux quartiers sud, haut sur la colline, loin (5’) du grouillement commerçant ; la cour est pavée de mosaïques, et possède sa fontaine, un oranger et un mandarinier : il s’agit donc d’un riad. Il y a la maîtresse de maison, Lalla Fatima, qui me fait penser à Véronique quand elle accueillait ses étudiantes à la maison ; elle a le sens naturel de l’accueil, prépare une cuisine familiale extraordinaire, et reçoit tous ses invités comme des amis de longue date avec l’aide discrète de sa fidèle Wafa et de son mari Moukhtar. La chambre familiale qui jouxte la nôtre accueille également ses trois derniers enfants de 15 à 21 ans, Raja, Hamza et Aziza, très actifs autour du wifi ; les deux aînés étudient ou travaillent en Allemagne. Si vous avez l’occasion de venir dormir à Fès, ne manquez pas d’essayer de venir loger chez « Lalla Fatima », très bien référencée sur l’Internet. La proximité de la Bâb Ziat permet d’échapper en quelques pas à la claustrophobie qui peut vous prendre dans la médina, et l’authenticité des relations qu’on y noue relativise l’exiguïté générale propre à toute vie dans une médina.
Pour notre dernière semaine ici, nous avons tiré nos motos de leur sommeil dans un garage généreusement prêté par un ami marocain à 5 km de la médina, et les avons remises en route au quart de tour ; après un petit réglage de la tension des chaînes / contrôle des niveaux / pression des pneus dans un atelier de rue orné d’un panonceau « Honda », elles paraissent impatientes d’en découdre avec les routes (ensoleillées ?) du sud. Nous leur donnons un peu d’exercice en allant tous les matins à l’autre bout de la ville prendre des cours de marocain. De plus, la météo s’annonce meilleure pour les jours qui viennent, et il y a beaucoup à voir dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres. Et c’est donc la semaine prochaine que nous devrions à nouveau prendre la route vers l’Atlantique et le Sud pour un grand tour de 2.500kms.
Nous présentons nos meilleurs vœux de santé et de prospérité à tous nos lecteurs pour la nouvelle année, et vous redisons combien nous sont précieux tous les messages d’encouragement que vous postez par email ou sur le blog.
PS La parenthèse parisienne nous a permis de faire connaissance avec Léa et de passer les fêtes de fin d’Année dans un grand bain familial relaxant. Cet aller retour fut un choc ; on ne sait plus trop si la couette de notre appartement est à cinq heures, cinq semaines ou cinq siècles d’ici !