6 – Trois semaines dans la médina de Fès

6 - Trois semaines dans la médina de Fès

6 – Trois semaines dans la médina de Fès

S’installer pour plusieurs semaines chez l’habitant dans la plus grande médina du monde est une expérience inoubliable. Nous sommes en hiver (entre 1° et 3° C la nuit, 8° à 12° le jour), et, en cet hiver 2010, il y pleut pratiquement tous les jours. Les maisons s’y entassent dans un invraisemblable empilement anarchique de ruelles étroites qui labyrinthent sur les pentes de collines souvent très raides. Si l’ensemble est peut-être confortable lors des fortes chaleurs, aménageant cours ombragées et courants d’air, les maisons n’y sont pas chauffées, et nous nous glissons la nuit d’abord dans notre sac de couchage avant d’insérer le tout sous les couvertures. La médina est entièrement enserrée dans des remparts ondulant sur les collines ; ils sont percés de portes (« Bâb »), souvent somptueusement décorées, environ tous les 500 m. Comme dans toute grande ville, elle s’organise autour de dizaines de quartiers ayant chacun mosquées et hammams, ainsi que des activités ou commerces spécialisés. Dès qu’on s’écarte des deux « grandes » ruelles touristiques qui descendent de la porte principale Bab Boujloud vers l’oued Fès et l’immense mosquée Quaraouyine (fondée par une pieuse femme de Kairouan au IXème siècle), il est très facile de se perdre dans le dédale des souks et quartiers d’habitation de plus en plus populaires au fur et à mesure que l’on va vers l’Est. Même dans ceux-ci, la plupart des habitants parlent suffisamment français pour vous remettre dans la bonne direction … que vous aurez reperdue trois coins de rue plus loin, n’ayant pas pu refuser d’entrer dans tel ou tel atelier d’artisan fier de vous montrer son ouvrage.
Quelque cent cinquante mille fassis vivent et travaillent entre les remparts. L’approvisionnement des marchés pour la vie quotidienne des habitants (viandes, poissons, fruits et légumes, épicerie, quincaillerie, vêtements, ameublement, …) tout comme celui des milliers d’ateliers artisanaux (ébénisterie, maçonnerie, plomberie … avec aussi bien sûr le célèbre « artisanat » de Fès) génère une intense circulation dans ces ruelles très étroites et souvent si pentues qu’on y aménage des marches. Les moyens de transport les plus usuels sont le mulet, l’âne, la charrette à bras et le dos d’homme, tout engin mécanique étant impossible d’utilisation. On transporte ici des peaux de mouton fraîchement écorchées vers la tannerie à ciel ouvert au milieu de la ville ; on enchère là sur les peaux tannées. On martèle ici le cuivre ; on tisse ou brode là à la manière berbère. On taille ici le marbre funéraire ; on applique là minutieusement un décor de peinture sur des huisseries sculptées. On arrime ici un 3ème colis d’1m3 et 60kgs sur un mulet chancelant ; on court là à grands cris et force coups de bâton après un bourricot qui a entraîné ses cinq frères aussi surchargés que lui dans la mauvaise rue. Et partout bien sûr, les souks où l’on fait des affaires !
Au milieu de tout cela, d’innombrables fontaines publiques richement décorées où chacun s’occupe ; des fondouks (littéralement « hôtels » … pour les marchandises, avec des chambrettes pour leurs commerçants) organisés sur trois étages autour de leur cour plus ou moins rectangulaire ; les mausolées de tel pieux cheikh ou imam ; les mosquées bien sûr, avec leur minaret, leurs salles d’ablution, et leur salle de prière donnant directement dans la rue, par les portes desquelles s’engouffrent ou se déversent les foules en burnous cinq fois par jour, tel un torrent pressé. Et puis, derrière de nombreuses portes pas forcément riches ni entrouvertes, peuvent se découvrir si l’on ose les pousser, des « medersas » (pensionnats coraniques), des « dar » (maisons bourgeoises), des « riad » (maisons avec jardin), ou des palais dont l’immense majorité a été construite depuis le XIXème siècle et se trouve au bord de la ruine, la restauration trouvant manifestement plus facilement des fonds pour les mosquées ou mausolées.
L’ensemble donne une impression de grouillement fouillis et très actif, où se côtoient richesses ostentatoires et indigence. L’eau courante, l’électricité et le tout à l’égout fonctionnent à peu près normalement, et les rues sont globalement propres compte tenu de ce qui s’y passe.
La famille Sahni chez qui nous habitons possède une maison tout à côté de la Bab Ziat, dans les beaux quartiers sud, haut sur la colline, loin (5’) du grouillement commerçant ; la cour est pavée de mosaïques, et possède sa fontaine, un oranger et un mandarinier : il s’agit donc d’un riad. Il y a la maîtresse de maison, Lalla Fatima, qui me fait penser à Véronique quand elle accueillait ses étudiantes à la maison ; elle a le sens naturel de l’accueil, prépare une cuisine familiale extraordinaire, et reçoit tous ses invités comme des amis de longue date avec l’aide discrète de sa fidèle Wafa et de son mari Moukhtar. La chambre familiale qui jouxte la nôtre accueille également ses trois derniers enfants de 15 à 21 ans, Raja, Hamza et Aziza, très actifs autour du wifi ; les deux aînés étudient ou travaillent en Allemagne. Si vous avez l’occasion de venir dormir à Fès, ne manquez pas d’essayer de venir loger chez « Lalla Fatima », très bien référencée sur l’Internet. La proximité de la Bâb Ziat permet d’échapper en quelques pas à la claustrophobie qui peut vous prendre dans la médina, et l’authenticité des relations qu’on y noue relativise l’exiguïté générale propre à toute vie dans une médina.
Pour notre dernière semaine ici, nous avons tiré nos motos de leur sommeil dans un garage généreusement prêté par un ami marocain à 5 km de la médina, et les avons remises en route au quart de tour ; après un petit réglage de la tension des chaînes / contrôle des niveaux / pression des pneus dans un atelier de rue orné d’un panonceau « Honda », elles paraissent impatientes d’en découdre avec les routes (ensoleillées ?) du sud. Nous leur donnons un peu d’exercice en allant tous les matins à l’autre bout de la ville prendre des cours de marocain. De plus, la météo s’annonce meilleure pour les jours qui viennent, et il y a beaucoup à voir dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres. Et c’est donc la semaine prochaine que nous devrions à nouveau prendre la route vers l’Atlantique et le Sud pour un grand tour de 2.500kms.
Nous présentons nos meilleurs vœux de santé et de prospérité à tous nos lecteurs pour la nouvelle année, et vous redisons combien nous sont précieux tous les messages d’encouragement que vous postez par email ou sur le blog.
PS La parenthèse parisienne nous a permis de faire connaissance avec Léa et de passer les fêtes de fin d’Année dans un grand bain familial relaxant. Cet aller retour fut un choc ; on ne sait plus trop si la couette de notre appartement est à cinq heures, cinq semaines ou cinq siècles d’ici !

11 thoughts on “6 – Trois semaines dans la médina de Fès”

  1. Bonjour à tous les 2.
    Quel plaisir de vous retrouver en “ballade” 😉
    Merci beaucoup pour votre pensée-carte postale à Séville.
    Au bureau dessin, où nous ne sommes plus que 3, je travaille avec Samira, une architecte marocaine qui vit en France depuis 4 ans. Je suis assez proche d’elle et avec votre blog, me voilà maintenant dans un formidable bain marocain 😉
    Elle est originaire de Casa, au cas où vous auriez besoin…
    Régalez-vous encore de ce chouette périple que vous vous êtes concoctés. Que 2010 vous permettent de réaliser tous vos projets les plus fous.
    Je vous embrasse.
    Maëlle

    Et félicitations à Christophe!

  2. Dans le Monde.fr de ce matin: Les faux guides pullulent au Maroc
    Un total de 2 190 faux guides touristiques ont été arrêtés et déférés devant la justice en 2009 pour usurpation de fonction et escroquerie dans la région de Fès, la capitale spirituelle du Maroc. Il s’agit d’une hausse de plus de 50 % par rapport à 2008, selon la brigade touristique. Gaffe!

  3. Dans le Monde.fr de ce matin:
    “Les faux guides pullulent au Maroc
    Un total de 2 190 faux guides touristiques ont été arrêtés et déférés devant la justice en 2009 pour usurpation de fonction et escroquerie dans la région de Fès, la capitale spirituelle du Maroc. Il s’agit d’une hausse de plus de 50 % par rapport à 2008, selon la brigade touristique.”
    Attention!!!
    B.

  4. Il en reste encore pas mal à arrêter ! Mais, bah, il est vrai qu’on a été pas mal suivis par des mobs le jour de l’arrivée, et un peu embêtés le second, le temps d’apprendre à dire non pas “je n’ai pas besoin de guide” (ce n’est pas gentil pour eux), mais plutôt “non, merci, pas maintenant, là, on ne visite pas, on est là pour longtemps, une autre fois, merci”, puis”La, choukran, beslama” (Non merci, au revoir). Mais il ne sont pas méchants, et si on ose rester fermes, ils nous laissent tranquilles. Au bout de 3 jours dans la medina, on en sait plus qu’eux. Et si par hasard on a besoin d’un guide, il faut leur demander leur carte de guide patenté … et le prix pour 1/2 jour, 1 journée etc…, même si les tarifs figurent dans les guides de voyage.

  5. A tous les coureurs d’aventure !
    Mon cousin Henri Bizot, grand montagnard devant l’Eternel, nous informe en commentaire de la note “En Castille”, qu’il revient d’une expé dans les Andes où il a réalisé la 1ère ascension du Polaco (6020m). La modestie l’empêche de signaler qu’il tiendra conférence sur cet exploit le 30 janvier 2010 à 14h45 à l’ENC, 15 rue Blomet (75015) et le lendemain 31 janvier à 14h45 au Théatre du Ranelagh 3, rue des Vignes(75016). Plus de détails en entrant “Henry Bizot” sur Google !

  6. Merci Philippe pour la précédente annonce ! Je me permets d’y apporter quelques petites corrections : il y a une seule présentation : le 30 janvier 2010 (voir ci-dessous) à l’ENC. Elle ne portera pas sur ma dernière expé de décembre 2009, au cours de laquelle nous avons gravi un nouvel itinéraire sur un sommet (6130 m) de la montagne de La Mesa. En fait, c’est la même présentation que j’avais faite en 2009 au Ranelagh puis aux Mathurins. Voir annonce ci-dessous.

    Conférence « Aventures dans l’oxygène rare » au profit de la chapelle Notre Dame du Lys
    Le samedi 30 janvier à 14h45, à l’Ecole Normale Catholique à Paris (15e), je présenterai :
    – une projection sur une expédition en haute montagne, que j’ai réalisée, en juin, au Pérou, avec l’ascension de la splendide pyramide du Tocllaraju (6032 m) par son impressionnante face ouest.
    – 2 projections sur le déroulement général d’une expédition en haute montagne, au travers d’images d’expéditions que j’ai réalisées, depuis 25 ans, dans les Andes, Himalaya, Pamir, Xinjiang.
    Samedi 30 janvier 2010 à 14h45
    5, rue Blomet – 75015 – Paris. Métro :
    Entrée libre. Au profit de la chapelle Notre Dame du Lys (7 rue Blomet, Paris, 15e). La totalité des dons servira à la réfection de la salle du patronage.
    Contact : hvbizot@aol.com ou 06 73 02 74 39.

    Amicalement, en espérant que le soleil méditerranéen va faire son apparition. Henry.

  7. On continue à suivre avec intérêt et parfois même un peu de “jalousie” ce périple marocain, en lisant la prose de Philippe et en admirant les dessins de Véro, c’est bien toi les dessins Véro? ainsi que l’album photos.
    Bonne continuation, bonne route, demain on boira à votre santé, le champagne chez les Rougier, 3 ème mercredi du mois oblige!!!
    Un grand merci pour la carte.
    Bise
    Christian et MF

  8. Hello les amis !

    Merci pour vos nouvelles rafraichissantes et le partage “live” de la couette hivernale !
    Votre voyage intérieur réchauffe les coeurs !
    Ou serez vous en MArs ?

    Bises

    Michel

  9. Votre adresse blog retrouvée grâce à votre fille, je suis ravie de pouvoir vous manifester le plaisir que j’ai eu à avoir de vos nouvelles et à suivre votre parcours sud méditerranéen et votre escapade parisienne “bienvenue à petite Léa… joli prénom” – Je viens de lire tous vos messages depuis votre départ… bravo ! encore bravo ! Soyez certains que vous accomplissez les rêves que d’autres ne peuvent pas faire et vous les alimentez en images, couleurs, chaleur et fraîcheur, accueils chaleureux… toutes choses qui font grand plaisir – Je vous souhaite grande et belle continuation vers le grand Sud – Née en Tunisie et y ayant vécu durant plus de 15 ans, les couleurs et les senteurs du Maroc m’ont rappelé quelques souvenirs heureux – Merci – Il n’y a plus “ultréia” mais tous mes voeux pour que l’année 2010 se déroule selon vos souhaits – Bonne route aux corps et aux mécaniques – Bien amicalement ADM

  10. Un geste quotidien dans “mes favoris” pour voir s’il y a de vos nouvelles et si je vais pouvoir découvrir d’autres de vos aventures qui me laissent toujours admirative pour votre persévérance et votre courage face aux éléments parfois… mouillés – J’espère beau temps et belles découvertes pour la suite de votre périple – Côté Printemps ici, il va encore falloir de la patience…. pour l’heure c’est le vent de la tempête qui nous accompagne – Bien amicalement …. en attendant la suite…

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