Eh bien nous voilà de retour à Paris, sains et saufs après notre grande évasion de six mois et 20.000 km à motos. Enfants et petits enfants nous ont fait la fête ; ils ont mûri et grandi pendant trop longtemps sans nous ! Nous sommes en bonne santé, et nos motos, en tout aussi bonne santé, ont fini par nous rejoindre à Paris, également par avion. Cela paraît simple ? Cette fin de voyage aura pourtant été la plus laborieuse de tout notre parcours !
Lima, d’abord, est de loin la ville la moins sympathique que nous ayons visitée… Métropole de 9 millions d’habitants, la « ville des Rois » n’a pas gardé beaucoup de traces, et encore moins de charme, de son glorieux passé de capitale de la Vice Royauté du Pérou. Pizarro l’avait choisie pour sa proximité – toute relative ! – avec l’Espagne, loin des Cordillères et de l’Altiplano, là où vous pouviez sauter dans un galion pour l’Espagne, ou en recevoir les nouvelles ‘fraîches’. Mais le climat de ce bord de mer est malsain ; l’océan Pacifique y est glacial et, comme à Valparaiso, la ville n’est pas tournée vers la mer. De plus, c’est encore le désert littoral : il ne pleut jamais à Lima (moins de 2cm par an), ce qui fait que la ville – longtemps la capitale du guano – jamais nettoyée par la pluie, est sale, et en permanence recouverte d’un « smog » provoqué par la différence de température entre l’océan et le désert.
Et c’est dans cette ville que nous sommes restés bloqués 12 jours, découvrant les arcanes mystérieux des procédures d’exportation, apparemment durcies par la DEA (l’administration américaine qui lutte contre le trafic de drogue) omniprésente ici ; le Président Evo Morales, l’avait expulsée de Bolivie en 2011 ; au Pérou, après quatre jours de procédures pour mettre nos motos dans un container maritime, il apparut que nous ne pourrions pas les y conduire nous-mêmes, d’où des frais (d’emballage, de manutention…) tels que la solution avion redevenait compétitive. Mais il apparut qu’elle exigeait que nous produisions notre billet d’avion avant de pouvoir commencer les formalités douanières… Confiants dans notre transitaire, et épuisés par dix jours de démarches, nous avons enfreint la règle que nous nous étions fixés de ne pas abandonner nos motos sans leur titre de transport. Et çà n’a pas loupé ; dès notre arrivée à Paris, la douane péruvienne nous cherchait des poux sur le contenu de nos déclarations à l’entrée au Pérou, trois semaines plus tôt, à la frontière bolivienne. Pas à pas, sans nous énerver, nous avons pu gérer le problème à distance… et trois semaines après notre retour, nous étions invités à aller chercher nos motos à Roissy, où la douane française sait aussi bien qu’au Pérou mettre nos nerfs à l’épreuve en exigeant que nous coupions les cheveux en quatre… Plus de précisions sur Lima comme sur le transport de nos motos et leur coût dans l’album de photos joint !
Un mois tout juste que nous sommes revenus à Paris… que l’atterrissage est long et difficile ! Nous sommes moulus dans nos corps et dans nos têtes ! Nous avons vraiment vécu que le mot anglais ‘travel’ est de la même racine que le mot français ‘travail’ ! Et ce n’est qu’au retour que nous prenons conscience que partir six mois sur la route, c’est vraiment ‘décoller’ du quotidien : on s’en affranchit en effet comme on ‘décolle’ en avion ; dès que notre cargo a largué ses amarres du port du Havre pour prendre la direction du Golfe de Gascogne et de l’Afrique, et que nous prenons possession de notre cabine pour trois ou quatre semaines, nous nous trouvons face à un immense ‘espace-temps’, devant nous. Et tout ce et ceux que nous laissons derrière nous s’éloignent dans un autre monde, toujours aussi réel et vivant certes, mais de la même nature que les banlieues, embouteillages et villes que nous voyons diminuer rapidement alors que l’avion prend de la hauteur à travers les nuages, pour nous retrouver dans un ciel infini et immaculé.
Pendant une durée de six mois, c’est le calme, le recul, et l’éloignement des soucis terrestres ; les nuages, miasmes, et activités de tous ceux qu’on aime nous deviennent quelque part ‘terre à terre’, restent collés au sol, et on regarde vers les cieux, vers d’autres cieux et de nouveaux horizons. Notre vie n’en reste pas moins difficile, pleine de stress, d’inconnu, de ‘travail’ et d’obstacles à surmonter ; un peu comme Jonathan, vous connaissez ? Livingston, le Goéland… Il y a les goélands qui volent derrière les chalutiers et s’assemblent sur les plages, et ceux qui, jours et nuits, s’esquintent à voler… seulement pour voler, toujours plus haut et plus loin !
Au retour dans notre petit appartement parisien, il nous faut donc réapprendre à vivre ‘normalement’, et là aussi, c’est laborieux ! Il y a une pile de courrier, il faut remplir plein de ‘déclarations’ qui nous relancent sous peine de ‘perte de droits’, retrouver des relevés, des chiffres, des tableaux, des mots de passe, des adresses ; il faut changer les cartouches d’encre de l’imprimante, payer des factures, acheter des enveloppes, des timbres ; participer avec nos voisins à la décision de changer ou pas le système d’interphone… Il y a aussi les faire part : de naissance, de mariage, de décès ; le monde a vécu intensément sans nous ! Et nous reprenons contact peu à peu avec la réalité.
Il nous faut nous réinsérer dans des rythmes, des habitudes : le café du lundi, la piscine du mercredi, le brunch familial du week end, un abonnement théâtre, mille activités qui doivent remplir un agenda … Faute de nous déplacer dans l’espace, c’est le temps qu’il convient maintenant de rythmer par des balises… Et puis, de déjeuners de copines en dîners d’amis, d’une expo ici à une conférence là, cette vie bien remplie de sédentaire citadin ‑ à construire avec mille tentations d’autant plus exigeantes que nous en avons été privé longtemps ‑ apparaît paradoxalement beaucoup plus éclatée ou dispersée qu’un avenir inscrit sur une carte à découvrir en vrai. « ‘Ailleurs’ est un mot plus beau que ‘demain’ » disait Paul Morand.
Heureusement, nous avons des souvenirs plein la tête, et une multitude de nouveaux amis. Et puis, il reste du boulot avant de classer notre aventure : d’abord réparer le blog, brutalement saboté il y a six mois par WordPress (çà y est, c’est fait, vous pouvez accéder à tous nos voyages précédents de manière inégalée !), préparer les albums papier, remercier les cousins argentins pour leur accueil et tous ceux qui nous ont soutenus pendant notre aventure, reprendre contact avec tous ceux qu’on a croisés sur la route et… préparer les voyages suivants !
Nous espérons à bientôt pour un nouveau périple !