3 – Avec Sharon et Georges, entre Givat HaMatos et Jérusalem Est

17 novembre 2014

17 novembre 2014

 

 

 

 

Renée a encore fait fort aujourd’hui ! C’est d’abord Sharon qui passe nous prendre chez nous avec sa voiture pour nous emmener sur le terrain, nous faire bien comprendre les causes profondes de la politique d’implantations et de colonisation de l’actuel gouvernement d’Israël, à partir d’exemples concrets.

Sharon est membre de l’ONG « Ir-amin » ; celle-ci surveille toute action sur Jérusalem Est susceptible de désavantager une communauté ou rendre impossible un règlement définitif du statut de la ville. Elle informe le public et les députés de la Knesset ; elle est habilitée à saisir la Cour Suprême ; elle publie des analyses ; elle organise des « tours » dans la banlieue de Jérusalem autour du mur de séparation et des nouvelles implantations.

Sharon nous emmène sur la colline de Givat HaMatos, où la Municipalité a prévu de construire un ensemble immobilier de 2.600 logements. Il apparaît, sur les plans et cartes qu’elle nous montre (cf. l’album de photos joint), que cette implantation, à cet endroit là, a surtout pour but de parachever l’isolement du village arabe de Beit Safafa, par ailleurs dépecé par une nouvelle route, afin de l’entourer complètement d’implantations juives. L’ensemble des documents qu’elle nous montre indique que cette politique est menée de façon systématique dans le « Grand Jérusalem » : l’important pour le gouvernement n’est pas tant de construire à tout va pour loger de nouveaux immigrants ; et de construire sur des terrains prélevés dans les Territoires parce qu’il n’y aurait plus de place « en Israël » ; il y a toute la place qu’on veut pour construire en Israël. L’important pour le gouvernement est de faire venir des gens pour habiter au milieu des villages palestiniens ; afin de les noyauter ; de les encercler par des implantations ; d’empêcher toute continuité dans les zones d’habitations arabes ; de judéiser le pays ; de faire en sorte qu’un état palestinien ne puisse pas naître, ni être viable ou cohérent, ni se développer aux côtés d’un état juif.

Cette politique menée avec persévérance, malgré toutes les condamnations internationales, s’applique, semble-t-il, sans trop de difficultés parce que la démocratie israélienne ne fonctionne politiquement qu’avec des minorités agissantes, en premier lieu la droite alliée aux partis religieux. L’immense majorité du corps électoral n’a pas d’autre vision politique que de vivre en sécurité dans un pays aux frontières sûres. La construction du mur de sécurité a mis fin aux attentats. La construction des colonies et des nouvelles implantations offre des possibilités de logement à proximité immédiate de la Jérusalem tant désirée ; certes, le voisinage de villages arabes est un réel désagrément, sans parler du danger objectif d’attentats ; mais les conditions financières sont tellement intéressantes que le gouvernement n’a pas de mal à trouver des candidats acquéreurs.

La logique d’une telle politique est apparue pendant notre voyage, lorsque le premier ministre « Bibi » Netanyahou, le 24 novembre, a défendu devant la Knesset un projet de loi visant à renforcer le caractère juif de l’Etat d’Israël, en le définissant non plus comme « Etat juif et démocratique », mais comme « l’Etat-national du peuple juif ». En tant « qu’Etat juif et démocratique », la poursuite de la politique des implantations viserait logiquement à une intégration (forcée) des Palestiniens à l’Etat d’Israël – un peu comme les « Arabes-israéliens » sont actuellement intégrés. En revanche, un « Etat national du peuple juif » ne laisse plus de place à des citoyens non juifs… La réaction ne s’est pas fait attendre : grosse manifestation quelques jours plus tard devant le domicile de « Bibi » aux cris de « Bibi pyromane », révocation des ministres des Finances et Affaires Etrangères, dissolution de la Knesset, nouvelles élections en mars prochain…

Et qu’en disent donc les Palestiniens ? Dans la foulée, Renée nous a pris un rendez-vous avec une autre de ses relations, Georges, chrétien arabe né à Jérusalem Est. Georges travaille pour l’Agence de tourisme qui nous a réservé nos logements pour notre tour du pays la semaine prochaine ; il est guide, lui aussi. Il nous attend porte de Jaffa, et nous nous retrouvons à la table d’un café dans le quartier chrétien, où le patron nous offre la tournée.

Nous passons une grande heure avec Georges, Arabe chrétien né il y a trente ans dans Jérusalem Est. Lors de l’annexion, Israël lui a proposé de devenir “Arabe-israélien” ; ce qu’il a refusé, comme la plupart des Palestiniens concernés. Il détient donc un passeport jordanien, qui ne lui donne aucun des attributs de la citoyenneté jordanienne ‑ en Jordanie, il ne peut ni voter, ni acheter d’immeuble, ni travailler ‑, mais lui permet de circuler à l’étranger. Il nous parle longuement de sa famille, des difficultés de son statut, et de sa vision de l’avenir du pays. Sa sœur est la première femme Palestinienne à avoir obtenu une licence de pilote de ligne, après une formation à Amman en Jordanie ; le premier boulot qu’elle a trouvé était à Gaza, mais, au bout de quelques mois, l’aéroport a été détruit par les Israéliens ; après avoir trouvé un travail en Jordanie, elle n’a pas pu le faire valider… les Palestiniens sont « non grata » en Jordanie ; ils peuvent suivre des formations, mais pas y travailler ; alors sa sœur travaille dans un bureau, à l’Aviation Civile israélienne.

Georges est réaliste, et fataliste ; il se rend bien compte que le morcèlement du Territoire Palestinien, tous les travaux d’infrastructure que les Israéliens y font, les routes, les implantations, les lignes à haute tension, les travaux hydrauliques, etc… ne pourront que difficilement revenir à un Etat Palestinien indépendant. Il reconnaît que la meilleure solution, aujourd’hui, serait sans doute que les Palestiniens, si Israël le leur propose, deviennent purement et simplement des citoyens israéliens, « Arabes-Israéliens ». Mais le sujet est tout à fait tabou, pour tout le monde. D’une part, il n’est pas du tout sûr que les Israéliens le leur proposent ; le déséquilibre démographique serait trop important ; et la question de la sécurité se poserait à nouveau de façon aiguë. Et d’autre part, il est interdit d’en parler pour un Palestinien ; ce serait une traîtrise au combat pour une Palestine indépendante. Comme ceux que nous avons entendu avant hier à Bait Jala, Georges va glisser dans une même phrase que Juifs et Arabes pourraient se regarder comme frères, et que, de toutes façons, sur le terrain, pratiquement, il est impossible qu’un Etat Palestinien puisse surgir, que la solution d’un unique Etat binational serait concrètement la meilleure solution… mais en insistant, contre toute logique ou bon sens : “dans les frontières de 1967″…

Et qu’en disent les colons ? Renée nous a aussi ménagé un entretien avec une amie d’amie, dans une colonie implantée le long du Jourdain, pas très loin de Beitshean. Nous la rencontrerons la semaine prochaine.

Vous verrez toutes les photos et les commentaires en cliquant sur :

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Bonne lecture, et… n’hésitez pas à m’envoyer des commentaires sur ces sujets brûlants d’actualité !

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