15 – La question du “Destin Manifeste” des Etats Unis

Les Américains, peuple élu par Dieu ?

Il y a un certain nombre d’indices troublants que nous avons relevés en parcourant les routes des Etats Unis. Par exemple le tableau de la photo au-dessus du titre ci-dessus, placé derrière le comptoir de la réception de l’hôtel de la chaîne Super8 à Austin, Texas : sous les étoiles du drapeau et l’aigle américains toutes ailes déployées, cette citation du psaume 33 :
« Heureuse est la nation dont l’Éternel est le Dieu ! Heureux le peuple qu’il se choisit pour son héritage ! ».

Et puis ces panneaux tout au long de l’autoroute IS10 qui nous mène vers l’Ouest :
« Amérique, bénis Dieu, pour que Dieu bénisse l’Amérique ! ».

Vraiment pas des trucs qu’on verrait chez nous ! En bref, sans forfanterie, une classe d’Américains semble se vanter que Dieu ait choisi les Américains pour coloniser l’Amérique… et même d’être le nouveau peuple élu par Dieu, si, si !!
Alors, au retour à Paris, nous avons creusé un peu ! Et nous sommes allés de surprises en découvertes stupéfiantes ! Ces indices étaient la petite pointe de gigantesques icebergs… Là se trouvent les racines de l’Amérique ; et se dissipe alors une part de notre incompréhension à voir ce grand peuple se choisir un Donald Trump comme Président : l’Amérique blanche, « White Anglo Saxon Protestant », n’admet pas, quelqu’en soient les raisons et finasseries à la Obama qui ont fait la preuve de leur impuissance, que le monde puisse contester sa suprématie, puisqu’elle a reçu du Tout Puissant lui-même le « Destin Manifeste » de conduire les affaires de la planète.
Nous commencerons donc notre enquête en essayant de comprendre comment le peuple américain en est venu à penser que Dieu l’a choisi « pour son héritage ».
Mais avant de voir jusqu’où cette affaire « d’élection » mène les Américains, et les implications concrètes pour la planète entière en ce début du XXIème siècle (vous allez découvrir que j’exagère à peine !), il convient de faire un rappel historico-théologique pour en situer le contexte « chrétien ».
Au début de l’aventure de la révélation d’un dieu qui se manifeste aux hommes, il y a le peuple juif avec Abraham, Moïse et la Torah. Puis le peuple chrétien avec Jésus et le Nouveau Testament. Ensuite les musulmans avec Mahomet et le Coran. Puis, donc, enfin, le peuple américain. Pour bien comprendre, il est nécessaire d’entrer un peu dans les détails !

La théologie de l’élection

La théologie de l’élection du peuple juif parcourt tout l’Ancien Testament : ce peuple est choisi pour que, par lui, se réalise le dessein de Dieu parmi les hommes : « Si le Seigneur s’est attaché à vous et vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moins nombreux d’entre tous les peuples. Mais c’est par amour pour vous et pour garder le serment juré à vos pères, que le Seigneur vous a fait sortir à main forte et vous a délivré de la maison de servitude, du pouvoir de Pharaon, roi d’Egypte. » (Dt 7,7-8).

La théologie de la substitution

La théologie de la substitution (ou du “remplacement”) est celle qui affirme que le peuple juif a été déshérité des promesses de la Torah, pour être remplacé par le peuple chrétien, « nouvel Israël ». Ce n’est pas St Paul qui a fondé cette théologie, mais ce sont sur certaines de ses lettres que se sont appuyés ses successeurs. Quand St Paul écrit : « La vraie circoncision est celle que l’Esprit opère dans le cœur » (Rm, 2,28), Justin, philosophe platonicien du IIème s., converti au christianisme, en tire l’idée que l’Eglise est un Israël spirituel : « Nous sommes aujourd’hui la race spirituelle et véritable d’Israël, de Juda, de Jacob, d’Isaïe et d’Abraham » (Dialogue avec Tryphon, XI, 5).

La thèse de Justin est développée par les Pères de l’Eglise, notamment Tertullien, Jean Chrysostome et le grand Augustin : le peuple d’Israël, aveuglé, ne s’étant pas converti en reconnaissant Jésus comme le Messie, son rôle dans l’histoire du salut est terminé, et remplacé par l’Eglise des chrétiens. Dans nos cathédrales (cf. ci-dessous, la couverture du livre “Théologie du remplacement”, illustrée du portail sud de la cathédrale de Strasbourg), la Synagogue figure les yeux bandés, la lance brisée, la Loi lui échappant des mains, se détournant de sa sœur, l’Eglise triomphante.

L’antijudaïsme chrétien – le peuple « déicide » (Ier-XXème s.)

Ce sont des passages du Nouveau Testament qui ont servi de fondement à la thèse selon laquelle tout le peuple juif était « déicide », ayant tué Dieu. On trouve dans le récit de la Passion de Jésus : « Et tout le peuple répondit : que son sang retombe sur nous et sur nos enfants! » (Mt 27, 25). Et dans la bouche de Jésus lui-même : « Satan est votre père » (Jn 8, 44). Saint Paul renchérit : « Les Eglises de Dieu ont souffert de la part des Juifs, eux qui ont tué le Seigneur Jésus et les prophètes, vous ont persécutés, ne plaisent pas à Dieu et sont ennemis de tous les hommes quand ils nous empêchent de prêcher aux païens pour les sauver, et mettent ainsi, en tous temps, le comble à leur péché. Mais la colère est tombée sur eux à la fin » (1Th, 2, 15-16). Après le même philosophe Justin (IIème s.) : « après avoir tué le Christ, vous n’en avez pas même le repentir ; vous nous haïssez » (Dialogue avec Tryphon 133, 3), c’est le grand St Augustin (IV-Vème s.) qui écrit : « que les Juifs ne disent pas : nous n’avons pas tué le Christ » (Commentaire du Ps 63). Il poursuit en expliquant qu’il ne faut pas tuer les Juifs, mais les condamner à la dispersion et à l’humiliation, en signe de victoire de l’Eglise sur la Synagogue, afin de montrer aux Chrétiens le sort réservé à ceux qui renient Jésus. Jean Chrysostome, St Jérôme, St Ambroise, St Augustin, St Hilaire de Poitiers, St Thomas d’Aquin… tous les plus grands Pères de l’Eglise ont eu des paroles très dures contre le peuple juif, accusations qui seront poursuivies jusqu’au XXème siècle. Dans notre jeunesse encore, au cours de la Prière Universelle du Vendredi Saint, on priait ainsi pour les Juifs : « Prions aussi pour les Juifs perfides afin que Dieu Notre Seigneur enlève le voile qui couvre leurs cœurs et qu’eux aussi reconnaissent Jésus ». Depuis 1959, on dit de manière plus positive : « Prions pour les Juifs à qui Dieu a parlé en premier ». Ce sont de ces théologies « de la substitution » et « du peuple déicide » que découlent les politiques millénaires d’ostracisme et de persécution à l’égard des Juifs dans l’Occident chrétien, qu’on appelle « l’antijudaïsme chrétien », lequel a lui-même puissamment aidé l’antisémitisme à prospérer dans nos sociétés modernes « christianisées ». Chacun sait en effet que le nazisme a prospéré dans des nations complètement christianisées ; mais la destruction des Juifs d’Europe par les nazis pendant la seconde guerre mondiale a changé le regard de la plupart des églises chrétiennes sur le peuple juif.

Nostra Aetate (1965)

Il s’agit d’un petit texte du concile Vatican II sur les relations de l’Eglise avec les grandes religions non chrétiennes. Changement radical d’attitude ! Dès le §2, le texte affirme : « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes » (§2). Et à propos des Juifs, le texte se fonde sur la lettre de Paul aux Romains (« les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » Rm 11, 29) pour affirmer – enfin ! ‑ au §4 : « l’Église ne peut oublier qu’elle a reçu la révélation de l’Ancien Testament par ce peuple avec lequel Dieu a daigné conclure l’antique Alliance, et qu’elle se nourrit de la racine de l’olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage que sont les Gentils. L’Église croit, en effet, que le Christ a réconcilié les Juifs et les Gentils par sa croix, et des deux, a fait un seul peuple. (…) L’Église attend le jour où tous les peuples invoqueront le Seigneur d’une seule voix et le serviront sous un même joug (…) Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S’il est vrai que l’Église est le nouveau Peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture ».
Exit donc l’idée d’un peuple déicide et réprouvé ! Exit les élucubrations de Justin, Chrysostome, Augustin et autres Pères de l’Eglise sur les Juifs ! Exit l’antijudaïsme chrétien ! Et sur la théologie de la substitution, il faut donc comprendre que, dans ses desseins insondables, Dieu a certes permis la naissance d’un nouveau Peuple de Dieu, mais que les promesses faites à l’ancien Peuple subsistent de façon “irrévocable” (Rm 11, 29). Quant à l’islam, s’il n’est pas titulaire d’une promesse divine équivalente, le Concile « exhorte tous les chrétiens et musulmans à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle ». Bon, on va s’y faire, nous autres chrétiens, à ce que « le salut » emprunte des voies parallèles, non ?

Jules Isaac, ami du Pape Jean XXIII, est un des fondateurs, en 1948, de l’Amitié Judéo Chrétienne de France. Il contribua à la naissance de Nostra Aetate. Le Père Jean Dujardin en fut le Vice Président, et lauréat du Prix AJCF.

Mais ce n’est pas si simple, car voici un 4ème peuple qui surgit !

Du « Destin Manifeste » à « America First »

Et puis voilà que nous découvrons pendant notre voyage un Aigle Américain associé au psaume 33 : « Heureux le peuple qu’il se choisit pour son héritage ! ». C’est bien lui, le grand peuple d’Amérique, que le Seigneur a élu. Et en effet, depuis leur fondation, les Etats Unis sont convaincus d’avoir un « destin manifeste » à conduire le monde. Quelques citations pour vous convaincre de cette appropriation des promesses divines :

1630 : John Winthrop, protestant puritain fondateur de la colonie du Massachussetts : « Nous avons pour mission divine de construire une « Cité sur la montagne » (en référence à Mt 5, 14 : « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée »).

1840 : Alexis de Tocqueville, philosophe catholique et homme politique français : « La situation des Américains est donc entièrement exceptionnelle, et il est à croire qu’aucun peuple démocratique n’y sera jamais placé. » (De la démocratie en Amérique).

1845 : John O’Sullivan, journaliste : « Notre Destinée Manifeste consiste à nous étendre sur tout le continent que nous a alloué la Providence pour le libre développement de nos millions d’habitants qui se multiplient chaque année ».

1904 : Théodore Roosevelt, réformé, Président républicain progressiste : « L’injustice chronique ou l’impuissance qui résulte d’un relâchement général des règles de la société civilisée peut exiger l’intervention d’une nation civilisée et forcer les États-Unis, même à contrecœur, dans des cas flagrants d’injustice et d’impuissance, à exercer un pouvoir de police international. »

1917 : Woodrow Wilson, Président démocrate presbytérien : « Je crois que Dieu a présidé à la naissance de cette nation et que nous sommes choisis pour montrer la voie aux nations du monde dans leur marche sur les sentiers de la liberté. » – « L’Amérique est la seule nation idéale dans le monde […] L’Amérique a eu l’infini privilège de respecter sa destinée de racheter le monde en lui donnant liberté et justice. »

1961 : John Kennedy, Président démocrate catholique : « Plus que n’importe quel peuple sur Terre, nous portons les fardeaux et acceptons les risques sans précédent – de part leur taille et leur durée – non pas pour nous seuls mais pour tous ceux qui souhaitent être libres. »

1973 : Richard Nixon, Président républicain quaker : « Notre politique étrangère est forgée autour d’une mission à vocation universelle que seule l’Amérique peut accomplir ».

1989 : George Bush père, Président républicain évangéliste : «  Nous nous devons aujourd’hui, en tant que peuple, d’avoir une intention de rendre meilleure la face de la nation et plus douce la face du monde. »

1993 : Bill Clinton, Président démocrate baptiste : « Notre leadership global n’a jamais été aussi indispensable. Il y a des moments où l’Amérique, et seulement l’Amérique, peut faire la différence entre la paix et la guerre, entre la liberté et la répression, entre l’espoir et la peur. »

2007 : Rudy Giuliani, candidat républicain battu par Obama, catholique : « Il y a des gens qui aujourd’hui, je crois, doutent encore que l’Amérique ait une mission particulière, voire d’inspiration divine, à l’échelle mondiale ».

2012 : Barack Obama, Président démocrate, protestant : « Les peuples admettent que nous restons la seule nation indispensable dans les affaires du monde. Parce que nous sommes les Américains, bénis d’avoir la plus grande forme de gouvernement jamais conçue par l’homme, une démocratie vouée à la liberté et au service des idéaux qui éclairent toujours le monde. (…) C’est nous, les Américains, qui avons embrassé nos responsabilités mondiales et notre leadership mondial. Les Etats-Unis ont été et resteront, la seule nation indispensable dans les affaires du monde. »

2015 : Donald Trump, alors candidat républicain à la présidence, presbytérien, en donne son interprétation : « Nous envahissons les Mexicains, et les enfermons dans des réserves. Nous prenons leur pays. C’est notre Destin Manifeste. Il y a longtemps que c’est ce que nous aurions dû faire. Croyez-moi ; regardez les Indiens ; nous vivons pacifiquement avec eux ; nous faisons la même chose avec les Mexicains et le problème est réglé. » (discours à son équipe de campagne le 29/8/15). C’est un recul brutal de 170 ans ! – En 2016, pendant sa campagne : « Nous devons reprendre en mains le destin de notre pays : America great again ! ». 2017, lors de son discours d’intronisation : « America first ! ».

Je ne vais pas faire ici un discours sur les subtiles différences qu’il y a entre les puritains, les quakers, les baptistes, les évangélistes, les catholiques ou les presbytériens, mais il faut rappeler que la majorité des premiers migrants en Amérique étaient partis, entre autres motifs, parce que persécutés en Europe pour leur foi, par les pouvoirs du goupillon et du sceptre ; la terre presque vierge d’habitants qu’ils découvraient et se préparaient à coloniser était une terre de liberté de culte, libre de tout souverain. C’est de cette racine que proviennent leur attachement à la liberté et leur pratique de la démocratie, leur fierté et leur conviction d’avoir à prêcher leurs valeurs dans le monde entier.
C’est pourquoi il est insuffisant de dire que l’Amérique est protestante.
On pourrait en effet plus justement dire que l’Amérique a été créée « en qualité de » société protestante, de la même façon, et pour quelques unes des mêmes raisons, que le Pakistan a été créé comme une société musulmane ou Israël comme une société juive. Le “peuple américain” du Destin Manifeste est de race blanche, anglo-saxon et protestant ; ils se définissent entre eux comme W.A.S.P., c’est-à-dire White Anglo Saxon Protestants. C’est de cette partie du peuple américain que proviennent les suprémacistes blancs dont nous reparlerons ci-dessous.
Outre leur messianisme et leur conviction d’être un peuple élu au « destin manifeste », ci-dessous quelques photos prises sur le bord des routes qui démontrent leurs étonnantes convictions missionnaires. Nous n’y avons pas vu de prosélytisme d’autres religions que chrétiennes.

« Jésus, le seul chemin vers Dieu » – « Qui est Jésus ? » – « Lisez la Bible : Vérité, Sagesse, Espoir ! » – « Jésus : les sages continuent à le chercher ! »

Caroline du Sud : “Et si vous mourez ce soir ? Le Ciel ? ou l’Enfer ?”. Derrière “855-FOR-TRUTH” se cacheraient les Amish et Mennonites.

« Et si vous mourez ce soir : au Ciel ? en Enfer ? » – « C’est le fou qui dit : il n’y a pas de Dieu ». « Les hommes sages continuent à la chercher »

Et à chaque fois s’affiche le numéro de téléphone… Il est sûr que nous ne voyons pas souvent ce genre de publicités le long de nos routes !

La Cour Pénale Internationale

La position des Etats Unis envers la Cour Pénale Internationale est une conséquence inattendue de leur croyance en leur Destin Manifeste ! Voyez plutôt ! Je ne comprenais pas jusqu’à maintenant pourquoi les Etats Unis refusaient obstinément de soutenir la Cour Pénale Internationale, qui correspondait pourtant apparemment à tous leurs vœux réitérés depuis la fin de la seconde guerre mondiale pour que soient jugés les auteurs de crimes de guerre, génocides ou crimes contre l’humanité. Leur Destin Manifeste leur commandait d’accomplir leur droit de police international, et ils l’avaient exercé jusqu’ici de façon plutôt intelligente, juste et éducative en convaincant toutes les parties de créer successivement les Tribunaux Internationaux de Nuremberg (1945), Tokyo (1946), Yougoslavie (1993), Rwanda (1994) et Cambodge (2001). Ils furent également partie prenante dès le début au projet de création d’une Cour Pénale Internationale (CPI), permanente celle-là. Mais ils s’en retirèrent, puis tirèrent ensuite à boulets rouges cette nouvelle Cour. Quelle en était la raison ? Tout simplement semble-t-il parce que, après des années de débats, l’ONU décida finalement que la CPI serait une juridiction indépendante et souveraine, et non pas, comme le souhaitaient les Etats Unis, soumise au droit de veto du Conseil de Sécurité. Et non seulement les Etats Unis refusent d’adhérer à la CPI, mais ils interdisent à tous ses tribunaux la moindre collaboration avec elle, s’interdisent de participer à des opérations de maintien de la paix décidées par l’ONU si leurs troupes ne sont pas explicitement exemptées de la compétence de la Cour, et s’obligent à libérer par tous moyens, y compris la force armée, un ressortissant américain qui serait détenu par la CPI… La raison de cette opposition à la CPI dépasse la simple humiliation de n’avoir pu imposer leurs vues sur la soumission de la CPI au Conseil de Sécurité de l’ONU. La raison provient directement de leur « destin manifeste » : le peuple américain en effet, ayant le « Destin Manifeste » d’apporter au monde entier les bienfaits de la liberté, de la démocratie et de la paix, il leur est absolument inenvisageable qu’aucun de ses ressortissants ne puisse jamais être poursuivi pour des crimes susceptibles d’intéresser la CPI : « Nous sommes peut-être la seule superpuissance dans l’histoire à chercher non seulement son propre intérêt personnel, mais aussi ce qui est bon pour reste du monde. » (Obama, 2012).

Et voilà pourquoi « Heureuse est la nation dont l’Éternel est le Dieu, heureux le peuple qu’il s’est choisi pour son héritage ! »

La vigueur du suprémacisme blanc

Les Etats Unis ont encore un vrai problème avec le racisme, étroitement lié à la conscience qu’ils ont de leur Destin Manifeste. Si la Guerre de Sécession – la « Civil War », de 1861 à 1865 – a mis fin à l’esclavage, elle n’a pas mis fin, au contraire, à de violents ressentiments interraciaux. Nous en avons été témoins à Charleston où, deux semaines avant que nous y fassions étape – et le lendemain de la déclaration de D. Trump de se lancer dans la course à la Présidence ‑, un jeune Blanc « suprémaciste » assassinait neuf Noirs partageant la Bible, le soir à l’église. Cela nous a interrogés ! Comment un Américain, faisant partie du peuple le plus puissant de la planète, alors qu’il est sans doute le plus composé d’immigrés, peut-il encore, au XXIème siècle, après les les tragédies du XXème, s’afficher en conscience raciste et suprémaciste au point d’assassiner des gens qu’il ne connaît pas, qui ne lui ont rien fait, du seul fait qu’ils n’ont pas la même couleur de peau ? Dylan Roof, l’assassin de 21 ans, condamné à mort en janvier 2017, se justifiera, sans aucun regret, en expliquant qu’il espérait que son geste déclencherait des émeutes qui amèneraient le « pouvoir blanc » sur tous les Etats Unis.
Nous nous sommes demandés si cette survivance d’un racisme exacerbé ne venait pas en partie du caractère absolu du 1er amendement de la Constitution, celui qui interdit toute limitation ou encadrement des libertés de religion, d’expression, de presse et de rassemblement pacifique : on peut depuis toujours aux Etats Unis faire toute déclaration publique mensongère (Breitbart News…) odieusement raciste ou sexiste en toute liberté ! La dernière campagne électorale nous en a donné des exemples jusqu’à l’écœurement. C’est le matin même du jour du massacre de Charleston que D. Trump a fait sa fameuse déclaration : « Quand le Mexique nous envoie ses gens, ils n’envoient pas les meilleurs éléments. Ils envoient ceux qui posent problème. Ils apportent avec eux la drogue. Ils apportent le crime. Ce sont des violeurs ».
En France, on serait immédiatement poursuivi en justice pour injure (raciste, sexiste, homophobe…), diffamation, ou incitation à la haine (raciale), à la violence ou à la discrimination.
Mais cela ne peut pas uniquement venir de ce 1er amendement ! Il suffit de regarder comment les Etats Unis traitent ces questions depuis deux siècles. Depuis leur naissance à la fin du XVIIIème s., il subsiste un fort mouvement qui n’a toujours pas assimilé et digéré la fin de l’esclavage. Rappel de quelques faits, dates, et positions prises par la loi ou des hommes célèbres :

1790, Constitution : l’accession à la citoyenneté est de fait réservée aux Blancs. En effet, même si tous les Noirs (19 % d’une population de 3 millions d’habitants) ne sont pas esclaves, ils ne pouvaient, dans les états non esclavagistes, acquérir la citoyenneté que s’ils payaient l’impôt, ce qui n’était pas le cas des Blancs.

1831, John Caldwell Calhoun, Vice Président, admis en 2000 par le Sénat américain dans la liste des Sept Plus Grands Hommes de Tous les Temps : « Les différentes parties de toute société sont hiérarchisées, complémentaires et solidaires –  L’esclavage est la reconnaissance juridique d’un fait de nature. »

1858, Abraham Lincoln, avocat (il sera Président de 1861 à 1865, et initiateur de la Guerre de Sécession) : « Je suis contre l’idée de faire des Nègres des électeurs ou des jurés, pas plus que d’en faire des fonctionnaires ou de les laisser se marier avec des Blancs. Il n’a jamais été question pour moi, en aucune façon, de les amener à une égalité sociale ou politique avec les Blancs ». Pour mémoire, à l’époque, le mot « Nègre » n’est pas politiquement incorrect ; mais aujourd’hui, on ne doit même plus dire « Noir » ; on doit dire « Afro-américain ».

1866-69, 13 & 14ème amendements à la Constitution : après la guerre de Sécession, le droit de citoyenneté et de vote est étendu aux Noirs.

1890, L. Frank Baum, journaliste : « Les Blancs, par droit de conquête et supériorité de leur civilisation, sont les maîtres du continent américain ; la meilleure sécurité pour nos colons installés sur la frontière consiste en la destruction totale des quelques Indiens qui restent ».

1898, Cour Suprême : extension du droit de citoyenneté aux Asiatiques.

1915, Woodrow Wilson, Président : « Les Blancs ont été éduqués dans un esprit de survie, jusqu’à ce qu’enfin naquit le grand Ku Klux Klan, protecteur du véritable Empire du Sud ».

1920 : 19ème amendement à la Constitution : droit de vote accordé aux femmes (En France : 1945)

1924 : Snyder Act : le droit de citoyenneté est étendu à tous les Indiens.

1939, Charles Lindbergh, aviateur : « Notre paix et notre sécurité ne dureront qu’autant que nous nous unirons pour conserver notre bien le plus précieux, l’héritage de notre sang européen, et que nous saurons nous protéger des attaques des armées ennemies comme de notre dilution dans des races étrangères ».

1967, Cour Suprême : sont illégales les interdictions de mariages interraciaux. 15 états sont encore concernés à cette date.

1971-75 : John Wayne, acteur : « Les Noirs devraient être mis à l’écart jusqu’à qu’ils soient suffisamment éduqués pour s’intégrer à notre société – Je ne pense pas que c’était une faute d’avoir pris notre grand pays aux Indiens ; ce n’était pas du vol, mais juste une question de survie ; la foule des gens ayant besoin de nouvelles terres était immense, et les Indiens agissaient égoïstement en essayant de se les garder juste pour eux ».

2000 : le Sénat (à majorité républicaine) inscrit le suprémaciste blanc John Caldwell Calhoun sur la liste des sept plus grands hommes de tous les temps.

2009 : Donald Trump, entrepreneur : « Des Noirs qui comptent mon argent ! Je déteste l’idée. Les seules personnes que je veux voir compter mon argent sont des hommes petits portant la kippa tous les jours. »

2015 : David Duke, député républicain de Louisiane : « Il est évident que notre but doit être la promotion de la race blanche, et la séparation des races blanche et noire. Cela implique de libérer les médias de leur sujétion aux intérêts juifs. »

2017 : à propos de Steve Bannon, propriétaire de Breitbart News et directeur de la campagne électorale de D. Trump, Harry Reid, chef du parti démocrate au Sénat : « La décision du président Trump de choisir Steve Bannon pour son plus proche conseiller signifie que les suprémacistes blancs seront représentés au plus haut niveau à la Maison Blanche ».

J’en reviens à ce que j’évoquais plus haut dans le blog à propos de la statue de Calhoun à Charleston : on ne peut s’empêcher de penser que, si Lincoln avait laissé la Sécession des Etats sudistes aller à son terme, il y aurait belle lurette que l’esclavage y aurait disparu, sans laisser autant de tensions racistes dans la société américaine. Celle-ci a encore, comme celle de l’Amérique latine, un gros travail en profondeur « de mémoire » et « de repentance » à faire sur ses deux cicatrices que sont l’esclavage et le génocide des Indiens. L’Université de Yale vient de (févier 2017) décider de débaptiser un de ses collèges qui s’appelait « Calhoun », mais Trump vient de placer, dans son bureau de la Maison Blanche, un tableau d’Andrew Jackson, l’organisateur de la grande déportation des Indiens de Floride au cours de la « Piste des Larmes »…

« Avoir des gloires communes dans la passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple » écrivait Ernest Renan en 1882 (Qu’est-ce qu’une nation ?). Il est clair que, tant que cet indispensable travail de mémoire et de repentance n’aura pas été accompli en profondeur, la société américaine continuera à se déchirer sur ses gloires communes telles que les généraux Andrew Jackson, Robert Lee, Philip Sheridan et George Custer, sur John Calhoun  ou le drapeau des Confédérés. Si toutes ces gloires communes font indiscutablement partie de l’histoire des Etats Unis, leur part d’ombre ne doit pas être oubliée. Oui, il reste du travail !

Travail de mémoire et repentance

Voici un dernier petit mot pour terminer ce 15ème et dernier chapitre de notre blog sur notre voyage aux Etats Unis. J’ai évoqué à plusieurs reprises dans ce blog, comme dans celui de l’Amérique du Sud, le nécessaire « travail de mémoire », qui, s’il est mené en vérité, doit amener à une « repentance » destinée apaiser les tensions communautaires issues d’un passé douloureux. Nous avons croisé pendant nos voyages ces types de tensions aussi bien dans les pays du Maghreb à propos de la colonisation, de leur antisémitisme ou de leurs régimes autoritaires, qu’en Turquie à propos du génocide des Arméniens, ou en Israël sur les injustices qui s’accomplissent sous nos yeux envers les Palestiniens. Les mots « Travail de mémoire » et « Repentance » sont devenus politiquement incorrects en France, notamment depuis une déclaration de Nicolas Sarkozy le soir de son élection de 2007. Je voudrais d’autant plus leur rendre justice que ces mots sont au cœur des travaux des diverses commissions “Vérité et Réconciliation” ici ou là dans le monde. Et il convient de rendre hommage à tout le travail exemplaire qu’avec ces mots, les églises chrétiennes ont accompli en pionniers vers le peuple juif depuis le scandale inouï de la Shoah !

Nicolas Sarkozy, le 6 mai 2007 : « Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres ».

Denis Tillinac, dans le Figaro Magazine du 21/2/2014 : « Triste avenir pour un pays [la France] qui, selon la vulgate, se réduit à avoir été tortionnaire en Algérie, collabo pendant la guerre, colonialiste et exploiteur au XIXème siècle, et esclavagiste au XVIIIème siècle. Sous prétexte de devoir de mémoire, la France se voit intimer l’ordre de se haïr et de faire acte de repentance. »

Alain de Benoist, dans un article intitulé « La repentance n’a strictement rien à faire en politique”, publié le 30/6/2015 par Boulevard Voltaire : « La repentance consiste en un choix sélectif dans notre histoire qui ne retient que les périodes les plus négatives, et un anachronisme qui porte sur le passé des jugements de valeurs qui n’appartiennent qu’à notre époque ».

François Fillon, le 16 févier 2017 : « Quand je me retourne derrière moi, je suis Français, je vois des générations de paysans basques et vendéens qui n’ont pas à faire repentance pour des faits correspondant à des situations dans des sociétés données ».

C’est à mes yeux méconnaître les exigences, les conditions et les vertus de la « repentance ». Celle-ci est pourtant bien ancrée dans notre paysage catholique avec les exigences d’humilité et de vérité, le « Je confesse à Dieu », « l’Acte de contrition » et les grâces du sacrement de la confession. En effet :

Jean Paul II, en 1994, dans sa Lettre Apostolique « A l’aube du 3ème millénaire » : « Il est bon que l’Eglise franchisse ce passage en étant clairement consciente de ce qu’elle a vécu. (…) Reconnaître les fléchissements d’hier est un acte de loyauté et de courage qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés d’aujourd’hui et nous prépare à les affronter. »

Une quinzaine d’évêques, dont Mgr Lustiger, signaient en 1997 la « Déclaration de repentance » dite « de Drancy », sur laquelle avait notamment travaillé le Père Dujardin, avec Véronique pour secrétaire : « Evénement majeur de l’histoire du XXème siècle, l’entreprise d’extermination du peuple juif par les nazis pose à la conscience des questions redoutables qu’aucun être humain ne peut écarter. L’Eglise catholique, loin d’en appeler à l’oubli, sait que la conscience se constitue par le souvenir et qu’aucune société, comme aucun individu, ne peut vivre en paix avec lui-même sur un passé refoulé ou mensonger. (…) Nous ne jugeons ni les consciences ni les personnes de cette époque, nous ne sommes pas nous mêmes coupables de ce qui s’est passé hier, mais nous devons apprécier les comportements et les actes. (…) Au jugement des historiens, c’est un fait bien attesté que, pendant des siècles, a prévalu dans le peuple chrétien, jusqu’au Concile Vatican II, une tradition d’antijudaïsme marquant à des niveaux divers la doctrine et l’enseignement chrétiens, la théologie, la prédication et la liturgie. Sur ce terreau a fleuri la plante vénéneuse de la haine des Juifs. De là un lourd héritage aux conséquences difficiles à effacer, jusqu’en notre siècle. De là des plaies toujours vives. (…) Le résultat, c’est que la tentative d’extermination du peuple juif, au lieu d’apparaître comme une question centrale sur le plan humain et sur le plan spirituel, est restée à l’état d’enjeu secondaire. Devant l’ampleur du drame et le caractère inouï du crime, trop de Pasteurs de l’église ont, par leur silence, offensé l’église elle-même et sa mission. Aujourd’hui, nous confessons que ce silence fut une faute. Nous reconnaissons aussi que l’église en France a alors failli à sa mission d’éducatrice des consciences et qu’ainsi elle porte, avec le peuple chrétien, la responsabilité de n’avoir pas porté secours dès les premiers instants, quand la protestation et la protection étaient possibles et nécessaires, même si, par la suite, il y eut d’innombrables actes de courage. »

Cette sorte de travail sur la mémoire et la reconnaissance des fautes de nos pères n’ont rien à voir avec une « haine de soi », bien au contraire. Il est évident que ses vertus peuvent s’appliquer tout aussi bien aux sociétés civiles, et qu’il s’agit alors d’un travail de nature éminemment politique. On peut être fier de son passé tout en pointant ses aveuglements. Ce qui fonde une nation, c’est, entre autres, une mémoire commune ; travailler sur les mémoires concurrentes et divergentes, c’est non seulement souder la nation, mais permettre, avec le recul, d’éviter à l’avenir les fautes commises dans le passé.

14 – Le bon, le moins bon, et l’incroyable aux Etats Unis

Tout au long de ce blog, nous avons partagé avec vous nos découvertes et nos émerveillements en parcourant ce pays extraordinaire. Il faut ajouter qu’au jour le jour, nous avons aussi apprécié des conforts inattendus, des sortes de petites surprises, peut-être insignifiantes, mais qui rendent pourtant la vie au quotidien bien agréable ! En revanche, parmi ces petites surprises, il y en a aussi certaines qui gâchent le tableau, qui relèvent de petites coutumes, misères, ou mesquineries, et sont comme des fausses notes laissant penser que, sur certains points, les Etats Unis sont plutôt en retard. Nous en faisons rapidement le point ci-dessous. Et puis nous faisons aussi le point dans ce chapitre sur ces scandaleuses questions des armes à feu, de la peine de mort ou des inégalités qui là, franchement, à nos yeux d’Européens, relèvent tout à fait d’un pays primitif, voire très barbare !

A la réflexion, ces aspects nous semblent les deux faces opposées d’une même médaille : pour le meilleur comme pour le pire, les Américains paraissent conserver en majorité, bien vivants dans leurs gènes, des réflexes datant de l’émigration de leurs ancêtres et de la période de la conquête du « Far West ». Pour le bon côté sympathique, cela recouvre des valeurs comme le courage au travail, l’esprit d’initiative ou la « débrouille ». Ils sont philosophes devant les accidents de la vie et ne comptent pas trop sur un « Etat-providence ». Ils roulent en « pickups » au quotidien parce qu’ils rêvent de partir camper, randonner et vivre mille autres aventures dans le « Wild ». Pour le revers de la médaille, il y a bien sûr tous ces gens armés « au cas où » ; et si le lynchage à chaud a été remplacé par la peine de mort à froid, cela nous semble, à nous Européens, remonter aux temps reculés de la loi du talion. Et puis, il y a aussi cette impudeur envers l’argent, aune de toute vie réussie. Les Américains nous ont paru d’abord pragmatiques et férus de technologie ; cela semble impliquer chez eux une vision simplifiée du monde dans lequel ils vivent. Il y a les bons ; il y a les méchants. Eux sont bien sûr les bons, ce qui leur donne un certain complexe de supériorité. Mais en creusant un peu, et à moins d’avoir baigné dans un milieu international, ou fait partie d’instances gouvernementales, ils ne nous ont pas paru trop à l’aise dans les complications subtiles de la planète qu’ils voudraient régenter !

Ce que nous avons particulièrement apprécié aux Etats Unis

Quand vous arrivez aux Etats Unis, vous avez immédiatement le sentiment d’être dans un immense pays, puissant et bien organisé. Tout le monde semble y avoir une voiture ; les routes y sont la plupart du temps fluides et propres ; vous vous garez plutôt facilement dans les villes ; leurs toilettes publiques dans les magasins ou les aires de repos sont généralement encore plus propres que chez vous ; les systèmes de paiements, sous quelques réserves, sont au point partout ; les panneaux le long des routes sont explicites ; les gens y sont accueillants et honnêtes, et vous y constatez relativement peu d’incivilités… En bref, tout y fonctionne assez harmonieusement. Si on fait abstraction de certaines chaînes de fastfood comme KFC, vous y mangez plutôt bien, et leurs viandes sont succulentes. Il a juste cette manie de mettre du sucre partout… ; il fallait venir ici pour comprendre pourquoi nos enfants canadiens ont appris aux leurs que le sucre est non seulement mauvais pour la santé, mais du « poison » ; au point que, quand ils sont en France, ils sont épouvantés à l’idée que je leur propose de sucrer leurs yaourts ! Mais nous avons admiré la façon dont les magasins remboursent sans discuter des produits achetés par erreur ou qui ne nous ont pas plus. Ou comment, dans les Parcs Nationaux, dans lesquels les « campgrounds » sont souvent exceptionnels, vous « réservez » votre emplacement de camping en y déposant tout simplement un fauteuil pliant ou une glacière avant d’aller vous y promener pendant des heures : au retour le soir, le camping est bondé, mais personne n’a jamais eu l’indélicatesse de s’installer à « votre » place en y poussant notre glacière, et encore moins, comme nous nous y serions attendus dans la plupart des pays européens, en la faisant disparaître !

En revanche, beaucoup d’aspects des Etats Unis nous ont franchement déçus, voire choqués ! Quel paradoxe de voir ce grand pays, se disant à la pointe de la civilisation, donner des leçons au monde entier alors que certains aspects de leur société nous apparaissent vraiment sous développés, voire barbares !

Un pays sous développé ?

Réseaux 3 et 4G

Dès notre arrivée à Miami, nous nous sommes équipés chez « Best Buy » d’un téléphone portable américain et d’un boîtier 3/4G émetteur Wifi : trop génial, nous pouvions Skyper sur nos laptops avec nos enfants tout en roulant sur les autoroutes de Floride, ou avoir tous nos mails et les infos sur nos smartphones français du fond de notre sac de couchage à toute heure de la nuit ! Et puis, dès que nous avons quitté la Floride… le boîtier ne captait plus rien, sauf dans les grandes villes.

Ce fut une des grosses surprises de ce voyage : ces Etats Unis si développés et en avance technologique dans tous les domaines, n’ont qu’une couverture téléphonique extrêmement limitée dès que nous sommes loin d’une ville de plus de 10.000 habitants.

Alors que dans toute station service du fin fond de la Patagonie ou du désert libyen, nous avions l’Internet, ici, nous avons perdu des heures à guetter des signaux et tenter une connexion : notre boîte Wifi mobile n’a pas fonctionné pendant deux semaines de suite dans le Nord Ouest des Etats Unis !  Et il semble y avoir encore beaucoup de localités isolées où le téléphone, c’est une ligne fixe au General Store du coin… !

Paiements

En France, cela fait des années que nous sommes habitués à payer ce qui est affiché ; et le service est inclus. Aux Etats Unis, cela rappelle les années 50 de chez nous, quand, avant la TVA, il fallait ajouter aux prix toute une série de taxes, variables selon les endroits : dans les restaurants par exemple, aux prix ajoutés sur la carte, il faut ajouter le pourboire, laissé, certes, à votre discrétion ; mais la politesse réclame de laisser entre 15 et 20 % ; et la note vous indique même combien de dollars font les 18%, et combien de dollars font les 20%. Vous n’êtes pas poursuivi si vous ne laissez rien ; mais cela veut dire que vous étiez mécontents.

Le paiement par carte Visa est généralisé partout, avec des spécificités. Exemple 1 : Il faut régler d’avance quand vous faites le plein d’essence ; vous donnez votre carte en disant combien de dollars d’essence vous voulez mettre ; et évidemment, quand le plein est fait, ça ne tombe pas juste, il faut qu’ils vous remboursent ; vous redonnez votre carte et ils font un crédit comme ils avaient fait un débit. Pratique ! Exemple 2 : Tous les mois, il nous faut recharger notre boîtier Wifi ; nous appelons un numéro (encore faut-il du réseau…) qui décroche toujours très vite ; mais on tombe toujours sur quelqu’un que vous avez du mal à comprendre… ; quand tous les numéros et références ont permis de situer votre abonnement, il faut tout donner de votre carte, non seulement du recto, mais les chiffres du verso. En bref, ils ont ensuite tout ce qu’il leur faut pour se servir de notre carte sur Internet. Tout le monde fait comme ça. Mais nous nous sommes appliqués à trouver des boutiques physiques chaque fois que cela a été possible… Même chose pour payer au restaurant avec sa carte Visa ; ils n’ont pas de terminal de carte mobile et n’utilisent pas le paiement avec le code secret ; il faut confier sa carte au serveur, qui vous la rapporte avec la facturette à signer. Tout le monde fait comme ça ; mais les Américains sont honnêtes ; nous n’avons eu aucun incident.

Les voitures obsolètes

Nous avons donc parcouru 21.400 kilomètres en 15 semaines avec un « camper van » FORD  « E-Series » de 2009 pesant 3,8 tonnes, équipé d’un moteur V8 de 4,6 litres de cylindrée… il y a 25 litres d’eau dans le radiateur, et 150 litres d’essence dans le réservoir… Nous avions auparavant parcouru beaucoup de kilomètres en France avec le PEUGEOT Expert Teepee diesel de même gabarit (8 places), de nos enfants, de la même année 2009, avec 2 litres de cylindrée.

Les deux véhicules ne jouent pas dans la même cour ! Quand le Peugeot consomme 9 litres/100 km à 130 km/h sur l’autoroute, le Ford dépasse les 18 litres à 100 km/h ‑ vitesse à laquelle il faut s’accrocher au volant car la direction flotte ‑  alors que le Peugeot est imperturbable à une vitesse 30% supérieure ; celui-ci est d’autre part beaucoup moins bruyant et beaucoup plus reposant. Il n’y a manifestement aucun effort des constructeurs pour limiter les consommations (économies d’énergie, pollution…) ; les meilleures ventes de ceux-ci concernent les pickups, sans doute parce qu’en tout Américain sommeille son ancêtre pionnier du Far West. Et quand un bobo de la Côte Est veut acheter une voiture moderne peu polluante, au moteur hybride, c’est une japonaise qu’il achète.

Douanes

Franchir des contrôles douaniers, on pensait avoir un peu l’habitude… Entre 3 et 5 heures chaque fois pour passer les frontières de Libye, Egypte ou Iran avec nos motos ou voiture françaises, mais on savait qu’avec ces pays, c’était compliqué. On avait déjà été un peu surpris par les passages frontaliers en Amérique du Sud : là, on parlait strictement la même langue des deux côtés de la frontière, en partageant une même culture et un même passé ; mais malgré cela, on se chipote… notamment sur les fruits et légumes : si on ne veut pas que les douaniers nous pillent nos fruits et légumes d’Argentine, il faut les consommer avant d’entrer au Chili ! Motif invoqué ? Ne pas polluer le pays avec des semences ou maladies étrangères ! Je veux bien comprendre ce genre de cordon sanitaire quand on arrive sur une île… mais je ne vois pas bien à quoi ça rime lorsque des vents patagoniens balayent les frontières à longueur d’année…

Notre « Live Oak » a franchi quatre fois en fraude la frontière entre les Etats Unis et le Canada, caché dans le coffre ou sous un fauteuil !

Eh bien, aux Etats Unis, c’est pareil ! La même chose ! Les Etats-Unis et le Canada partagent 9.000 km de frontières. C’est la plus longue frontière du monde entre deux pays ; les vents y soufflent en tempête, les rivières la coupent et la recoupent, les animaux sauvages la franchissent sans contrôle, les pollutions de toutes sortes s’échangent en fonction de la météo. Mieux, depuis 20 ans, un accord de libre échange entre le Canada, les Etats Unis et le Mexique, l’ALENA, a abaissé ou supprimé les barrières douanières pour la plupart des produits échangés. Mais les Douanes veillent toujours ! C’est là que se sont réfugiés les protectionnistes, les tatillons, les soupçonneux, les complotistes, et les enculeurs de mouches, sous couvert de garanties phytosanitaires ! Alors même évidemment que les règles de sécurité alimentaire sont de fait les mêmes dans les deux pays, en l’absence de certificat dûment estampillé, un œuf pondu par la poule d’un des deux pays ou un légume ne peut entrer dans l’autre ; un avocat, un citron ou une papaye importés du Mexique (ou des Etats Unis…) au Canada ne peut pas (ré)entrer aux Etats Unis ; seul le riz précuit peut franchir la frontière ; et le bois mort ou le charbon de bois pour le barbecue sont rigoureusement interdits de passage… Nous avons failli nous y faire prendre (cf. ci-dessus l’introduction au Chapitre 9 « Le Nord Ouest ») ! Les deux pays partagent pourtant la même origine européenne, la même langue, la même culture et la plupart des mêmes règles. Nous autres Européens, nous avons longtemps tremblé en passant sous le regard soupçonneux du douanier allemand, suisse, italien ou espagnol… et, une fois l’épreuve franchie, nous pénétrions dans un nouvel espace culturel. Tout cela est terminé en Europe depuis plus de trente ans et cela nous paraît moyenâgeux de subir ces entraves tatillonnes à la libre circulation.

Sécurité routière

Station de gonflage et débris de pneus sur le bord des routes

Nous avons été surpris de voir qu’aux Etats Unis, les immenses semi-remorques n’ont pas d’autres limitations de vitesse que celles des automobiles ; nous serrions les fesses quand nous roulions à 90/100 km/h, et voyions débouler dans nos rétroviseurs ces énormes convois à deux ou trois remorques qui roulaient à 120/130 km/h. Je l’ai dit, notre van avait tendance à dandiner du volant dès 90 km/h, et j’ai plusieurs fois tenté de vérifier la pression des pneus ; mais les stations service ne proposent, au mieux, que de vous vendre de l’air sous pression, sans le moindre manomètre… C’est pourquoi je ne suis pas étonné de découvrir que, d’après l’OMS, en 2015, la mortalité routière est deux fois plus élevée aux Etats Unis (10,6 décès pour 100.000 personnes) qu’en France (5,1). A titre de comparaison, pour les pays que nous avions parcourus à motos, la mortalité est de 14 en Argentine, 21 au Maroc, de 32 en Iran et de… 74 en Libye.

Alcool

Une bizarrerie… Toutes les stations services aux Etats Unis vendent de l’alcool, mais avec de grandes affiches qui rappellent non seulement qu’il est interdit de le consommer sur place, mais surtout qu’il est interdit d’avoir, dans sa voiture, des bouteilles ou des canettes d’alcool ouvertes avec de l’alcool dedans. Notre bouteille de Cinzano pour l’apéritif du soir était soigneusement cachée dans les fins fonds du coffre.

Un pays barbare ?

La question des armes à feu

Voilà des affichettes qu’on rencontre extrêmement souvent à l’entrée de magasins aux Etats Unis ; elles sont un rappel permanent qu’il y a encore une petite odeur de Far West partout dans ce pays ! Mais un rappel aussi que la plupart des Américains que nous fréquentons ont une arme à portée de la main… Pas très rassurant ! Mais comment est-ce possible dans un pays aussi « civilisé » ?

Le 2ème amendement de la Constitution des Etats Unis (1791) indique que : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. » Cet amendement est toujours en vigueur, farouchement défendu par de puissants lobbies, et permet ainsi à chaque citoyen d’être armé jusqu’aux dents, avec y compris le droit, pour 44 Etats sur 50, de porter ces armes dans la rue, en dehors de chez soi.

Le droit des citoyens à former des milices armées remonte aux temps moyenâgeux de l’Angleterre, quand il n’y avait pas d’armée régulière. Ce droit fut bien sûr maintenu sur les terres d’Amérique quand il fallut se battre contre les Anglais ou les Indiens ; il relève du droit à la légitime défense. Les Républicains soutiennent que le 2ème amendement s’applique, selon la seconde partie de la phrase, « à chaque citoyen », alors que les Démocrates expliquent qu’il ne peut se comprendre que « dans le cadre d’une milice bien organisée », c’est-à-dire aujourd’hui des polices ou de l’armée. La Cour Suprême n’est pas encore revenue sur l’interprétation littérale des Républicains.

Se sont ajoutées en outre, dans 35 Etats, les lois « Stand your ground » et « Shoot first » (« Défendez votre territoire » et « Tirez le premier »), au titre desquelles on peut tuer en toute légalité « si on croit raisonnablement devoir faire face à une menace illégale, sans être obligé de fuir ».

En 2012 par exemple, George Zimmerman, 28 ans, est coordinateur d’une « Crime Watch Zone » en Floride ; en patrouille de surveillance dans sa voiture, il remarque un jeune au comportement suspect, la capuche rabattue, qui traverse la Zone sous la pluie en observant toutes les maisons de façon louche ; il appelle la police : « voilà un mec sur un coup ; on a eu des cambriolages ; il cache sa main sous sa veste ; ces trouducs arrivent toujours à se tirer…p… il se met à courir… ». La police lui demande de rester dans sa voiture jusqu’à ce qu’elle arrive. Quand elle arrive, Trayvon Martin, un Noir de 17 ans, est mort, à 50 m de chez lui, d’une balle dans la poitrine tirée à moins de 40 cm alors qu’il était au sol ; il n’était pas armé ; il revenait d’une course pour sa mère à l’épicerie du coin. Quant à lui, Zimmerman présente des traces d’herbe mouillée dans le dos et de griffures sur la nuque. Ce dernier indique avoir été attaqué par Trayvon ; il n’y a pas d’autre témoin. Il ne sera pas mis en garde à vue, encore moins en préventive. Dès 2013, Zimmerman sera définitivement déclaré innocent de toutes les charges retenues contre lui en vertu des lois « Stand your ground » et « Shoot first ». Et le 27 mars 2017, Zach Peters, 23 ans, surprend chez lui, à Broken Arrow, dans l’Oklahoma, à minuit passé, trois hommes gantés et cagoulés ; il les abat tous les trois avec un fusil automatique. Ils étaient âgés de 16, 17 et 18 ans ; seul l’un d’eux avait un couteau dans sa poche. C’est la conductrice de la voiture qui les a amenés sur place ; âgée de 21 ans, elle est inculpée de trois meurtres et trois cambriolages. C’est du sérieux, « Stand your ground » et « Shoot first » !

« Rien de que je possède ne vaut votre vie ! » (= « Je suis armée ! »)

 

On compte aux Etats Unis en 2015 quelques 350 millions d’armes à feu détenues par des particuliers ‑ lesquelles incluent des fusils d’assaut semi-automatiques ‑  pour une population de 325 millions d’habitants, soit en moyenne 110 armes pour cent habitants. Les Etats Unis sont ‑ encore dans ce domaine, et de loin ! ‑ , le 1er pays du monde, suivi par le Yemen (55 armes % hab.), et la Suisse (45).

Il y a certes de nombreux panneaux à l’entrée des magasins interdisant le port d’armes. Mais globalement, on ne rencontre pas, comme en Israël, des jeunes filles en civil avec un fusil mitrailleur en bandoulière, ou comme chez nous en France, des soldats en tenue de combat partout dans les rues.

Pour les dégâts provoqués par cette politique, il faut savoir que si, chaque année aux Etats Unis, 30.000 personnes décèdent par armes à feu, le chiffre comprend 11.000 suicides : il faut admettre qu’il est plus propre de se tirer une balle dans la tête que de se jeter sur les voies du métro ; merci au 2ème amendement !

Les 19.000 personnes qui restent – tuées donc par armes à feu ‑  représentent les 2/3 des homicides volontaires ‑ 1/3 des meurtres ou assassinats « seulement » ne sont pas commis avec une arme à feu. Cela nous fait au total 5,2 homicides volontaires pour 100.000 habitants aux Etats Unis, taux en augmentation constante (cf. le graphique ci-dessus). Au 4ème rang mondial seulement, ils sont battus sur ce terrain par le Brésil (25 homicides/100.000 hab), le Mexique (23, qui inclut le Chihuahua, recordman du monde avec 108) et la Russie (12,8). La moyenne mondiale est de 4 homicides volontaires pour 100.000 hab. La France est 26ème avec 0,6, dont 0,06 (10%) par armes à feu, ce dernier chiffre ayant explosé avec la tuerie du Bataclan ; mais, même aujourd’hui, il y a 80 fois moins de chances qu’aux Etats Unis d’être tué en France par une arme à feu.

L’actualité fait souvent ses manchettes sur des Noirs tués par la police ; si environ la moitié des gens que tue la police sont des Blancs, les Noirs ne représentent que 12% de la population totale. Avec un quart des tués par la police, les Noirs ont trois fois plus de « chances » d’être tués par la police que les Blancs.

La peine de mort

Aux Etats Unis

Les Etats Unis sont le dernier pays occidental à pratiquer la peine de mort, avec de grandes différences entre les Etats : il y a ceux qui l’ont supprimée de leur arsenal législatif ; et parmi ceux qui l’ont conservée, certains ne condamnent plus à mort, et d’autres continuent à condamner mais n’exécutent plus ; 30 Etats sur 50 l’autorisent encore, mais 12 seulement la pratiquent, et de moins en moins au cours des ans (600 exécutions pour les dix premières années du siècle, 248 pour les six années suivantes).

On peut donc globalement dire que la peine de mort est en recul aux Etats Unis depuis quinze ans. Les statistiques montrent d’ailleurs que la criminalité est plus faible dans les Etats qui ne la pratiquent pas ! Mais les Etats continuent à l’autoriser parce que, électoralement, dans beaucoup d’Etats, les hommes politiques ne pensent pas pouvoir la supprimer sans risquer de perdre leur mandat aux prochaines élections. Alors les jurys continuent à condamner à mort, une centaine de fois par an pour tous les Etats Unis. Le nombre des exécutions ne suit pas, loin de là (environ 30 par an actuellement, 20 en 2016), ce qui allonge notablement la durée de séjour dans les « couloirs de la mort ».

La position du Vatican

La peine de mort n’a jamais été formellement condamnée par le Vatican. En tant qu’Etat, le Vatican l’a abolie comme peine pour ses ressortissants en 1969 (en France, en 1981) ; en 1995, le pape Jean Paul II déclare que cette peine « n’est justifiée que lorsque la défense de la société est impossible autrement. » (Encyclique Evangelium vitæ). En 2004, le cardinal Ratzinger, pas encore Pape, précise que les fidèles de l’Eglise catholique ne sont pas obligés de suivre cette position : « il peut légitimement y avoir un débat entre catholiques sur l’opportunité d’appliquer la peine capitale ». Il faut dire que Jésus lui aussi a subi la peine de mort. A l’époque, ce n’était pas le peloton d’exécution, la solution létale ou la chaise électrique mais la crucifixion ; publique ; pour l’exemple. Et les chrétiens s’en vantent, la proclament, l’affichent, la revendiquent ; ils en font même leur logo (le crucifix). Supprimer la peine de mort ? Si Jésus était venu dans notre siècle, et que la peine de mort avait disparu, il n’aurait pu mourir de façon infâmante et l’homme n’aurait pu être sauvé ? Est-ce une des raisons pour laquelle le Vatican n’est pas foncièrement contre la peine de mort ?

Les “couloirs de la mort”

En Europe, la Convention Européenne des Droits de l’Homme interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants (1950, art. 3), puis la peine de mort en temps de paix (1983, Protocole n°6), puis en toutes circonstances, même en temps de guerre (2002, Protocole n°13). Supprimer la peine de mort de son arsenal législatif est aujourd’hui une condition sine qua non pour adhérer à l’Union Européenne. Depuis 1989 (Arrêt CEDH du 7/7/89, en Cour Plénière), une personne ne peut pas être extradée d’Europe aux Etats Unis si elle y risque la peine de mort, en raison des « traitements inhumains ou dégradants » qu’elle ne pourrait manquer de subir en raison de la longue attente du condamné dans les « couloirs de la mort ».

Aux Etats Unis, le 3/6/2015, Lester Bower, 67 ans, était exécuté après avoir passé 31 ans dans ces couloirs. Daniel Echols quant à lui, condamné à l’âge de 20 ans, a passé 18 ans dans les couloirs de la mort de l’Arkansas avant d’être innocenté par des analyses ADN, et libéré en 2011. Mais, comble de cynisme, ou de la barbarie à des yeux européens, Daniel n’a pas été innocenté à proprement parler ; les preuves de son innocence n’ont servi qu’à réduire sa sentence au temps qu’il avait passé en prison, et il n’a pas été libéré avant d’avoir signé un papier selon lequel, en reconnaissant que la justice détenait suffisamment de preuves pour le faire condamner, il s’engageait à ne jamais poursuivre la justice pour son erreur… Depuis la fin du moratoire sur la peine de mort aux Etats Unis en 1976, 144 condamnés sont sortis vivants des couloirs, et les statisticiens évaluent aujourd’hui à 4% le nombre des erreurs judiciaires.

Les exécutions

Mais le plus barbare, en notre temps de médias omniprésents, ce sont bien sûr les exécutions. Elles ont beau ne plus être publiques, chaque exécution est largement commentée par les avocats des condamnés et les associations qui luttent contre la peine de mort. Il y a de moins en moins d’exécution pour maintes raisons. D’abord parce que, depuis la fin du moratoire sur les exécutions en 1976, les nouvelles conditions pour procéder à une exécution multiplient les garanties et recours en justice. Ensuite parce que plusieurs scandales retentissants ont concerné des exécutions manquées, tant sur la chaise électrique que par injection létale. Et enfin parce que les laboratoires pharmaceutiques américains ont estimé que ce n’était pas un marché rentable (moins de 40 exécutions par an !), et que les laboratoires européens refusent de livrer les cocktails létaux à des services pénitentiaires.

 

Jusque dans les années 2000, et depuis 1890, les Etats Unis ont exécuté les condamnés avec la chaise électrique. En France, ce fut jusqu’à la fin la guillotine ; comme disait son inventeur, M. Guillotin, « Avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d’œil, et vous ne souffrez point ». C’est loin d’être toujours le cas avec la chaise électrique. Pour ne prendre que les exemples les plus récents, qui ont mis fin à ce mode d’exécution, il faut parler des “ratés” suivants :

Chaise électrique – Allen Lee Davis après son exécution – Table d’injection létale.

1990, en Floride, Jesse Tafero tressaute pendant 7 minutes sur la chaise, avec « des flammes de 15 cm qui lui sortent de la tête et une horrible odeur de brûlé » ; il subira trois électrocutions. Les éponges humides qui assurent le contact étaient synthétiques et non pas naturelles ; elles se sont enflammées.

1997, en Floride, la tête de Pedro Medina s’enflamme, et il respire encore après l’électrocution.

1999, en Floride, Allen Lee Davis saigne abondamment du nez pendant l’électrocution, avec de graves brûlures aux points de contact sur la tête, les jambes et l’aine.

On passe alors aux solutions létales, mais ce n’est guère mieux.

09/2009, dans l’Ohio, Romell Broom subit pendant 2h une vingtaine d’essais infructueux pour trouver une veine valide pour procéder à l’injection létale. L’exécution est finalement suspendue. Romell publie un livre sur son exécution manquée. En Décembre 2016, la Cour Suprême décide qu’il doit à nouveau subir une exécution, malgré le principe qu’on ne peut pas subir deux fois la même peine pour les mêmes faits.

01/2014, dans l’Ohio, Dennis McGuire résiste pendant 25’ aux cocktails létaux.

04/2014, dans l’Oklahoma, Clayton Lockett survit 43’ à l’injection létale. Clayton décèdera finalement d’un arrêt du cœur. « Nous pensons qu’une veine a éclaté et que les drogues n’ont pas fait le travail escompté » dira le médecin chargé de superviser l’exécution.

05/2014, au Texas, l’exécution de Robert Campbell est suspendue après les ratés de l’exécution de Clayton Lockett. A ce jour, il est toujours vivant.

08/2014, en Arizona, Joseph Wood met près de 2 heures à mourir en gigotant et grognant de souffrances après avoir reçu au total quinze fois les doses létales prévues initialement.

12/2016, en Alabama, Ronald Bert Smith gigote et tousse pendant 34’ après les injections ; il avait passé 21 ans dans le couloir de la mort. Le sénateur de l’Alabama et ancien procureur, Jeff Sessions, vient d’être nommé Ministre de la Justice de Donald Trump ; il pense rétablir les pelotons d’exécution pour en finir avec ces scandales.

Le résultat de la baisse du nombre des exécutions est qu’il y a actuellement 3.000 condamnés à mort en attente d’exécution, dans les « couloirs de la mort » : au rythme d’une quarantaine d’exécutions par an, il faudrait déjà, pour éviter les files d’attente, que pendant 80 ans on ne condamne plus personne à la peine capitale. Mais je suis sûr que le nouveau président Donald Trump a une autre idée pour mettre fin aux “traitements inhumains ou dégradants” que sont les couloirs de la mort.

Pauvreté et inégalités

Seuil de pauvreté

D’après la CIA, le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté (moins de la moitié du revenu médian de la population) serait de 30% en Inde, 21% au Brésil, 16% au Royaume Uni, 15% aux Etats Unis, 11% en Russie, 10% en moyenne pour l’Union Européenne, 9% aux Pays Bas, 8% en France, 7,6% en Suisse, 6,1% en Chine, 3,8% en Tunisie et 1,5% à Taiwan.

On voit que les Etats Unis sont très mal placés : 45 millions de personnes y vivraient sous le seuil de pauvreté… et 40 autres millions seraient en train d’y descendre.

Inégalités

Pour connaître le niveau des inégalités, les statisticiens utilisent un indice composite, le « coefficient de Gini ». Plus il est élevé dans un pays, plus les inégalités de revenus sont fortes entre les plus riches et les plus pauvres. On considère que le niveau de 40 est critique pour la stabilité sociale d’un pays. Parmi les principales puissances économiques, celles qui dépassent ce niveau de 40 sont l’Afrique du Sud (67), le Brésil (57), le Mexique (48), les Etats Unis (45), la Russie (42), la Turquie (41) et la Chine (41). L’Inde a un coefficient de Gini de 36, et l’Union Européenne de 30, avec de grandes disparités correspondant aux politiques sociales. En Angleterre, il a augmenté de moitié (de 23 à 34) pendant les dix années de la gestion de Mme Thatcher.

Au niveau du patrimoine détenu, là encore, les Etats Unis sont très inégalitaires : en 2013, les 10% les plus riches détiennent 70% du patrimoine, alors que dans l’Union Européenne, ils ne détiennent « que » 50% du patrimoine.

Dans notre tour des Etats Unis, nous avons souvent traversé des zones de pauvreté, où les gens appartenaient manifestement aux 10% les moins favorisés de la population. Ce fut d’abord souvent le cas de certains des « RV Parks » où nous nous arrêtions pour la nuit ; la plupart des autres occupants vivent là toute l’année, dans des caravanes ou bus aménagés posés sur cales, souvent au milieu de tas de détritus, coincés entre des autoroutes ou des installations industrielles ; les « facilités » comprennent un ou deux sièges wc repoussants, et pas toujours de douche. Et puis, sur des routes perdues des fins fonds du Nouveau Mexique, du côté de l’ancienne mine d’or de Chloride, à près de 2.000 m d’altitude, ou bien dans les plaines du Montana, nous sommes tombés sur des hameaux de ruines habitées et rafistolées, loin de tout… « Terrible », dirait Donald Trump !

La Publicité

Et pour finir sur une note plus légère, ci-dessous quelques photos de publicités inattendues sur le bord des routes !

Les panneaux publicitaires sont assez envahissants !

Des publicités pour des avocats (ce qui nous attend en France après l’autorisation de 2015 ?) : « Blessé ? Accident de la route ? Consultation gratuite ! Pas d’honoraire sauf si nous gagnons ! » « Accidents de voiture ou moto ? Mort horrible ? La consultation est gratuite ! »

Sur l’IS95 en Floride : « Vasectomie ! Sans aiguilles ! Sans scalpel ! Déjà plus de 30.000 ! Docteur Dough Stein » (En France, la publicité pour les médecins ou chirurgiens reste rigoureusement interdite).

Dans le métro à Chicago : « Vous vous disputez souvent ? La moindre chose peut vous mettre hors de vous ? Vous cassez tout quand vous explosez ? Fou du volant ? Participez à nos recherches sur la colère ! »


Dans des toilettes publiques à San Diego (Californie) : « Ne pas monter sur le siège ou la lunette ; vous pourriez les casser et vous blesser »

Dans les toilettes de la Mission San Luis Obispo de Tolosa (Californie) : « A cause de certaines activités constatées dans les toilettes publiques, ces lieux sont susceptibles de faire l’objet d’une surveillance électronique ».

 

13 – Réflexions de Parisiens au fil des routes américaines

Les panneaux de circulation routière

En France, on a l’esprit abstrait, synthétique ; chez nous, les panneaux d’interdiction, notamment sur les voies de circulation, sont essentiellement des symboles. Par exemple :

Quand nous voyons un simple chiffre au milieu d’un rond rouge sur fond blanc, nous comprenons qu’il s’agit d’une limitation de vitesse. En France, on trouve toutes sortes de pictogrammes supposés être explicites, mais tout le monde doit savoir qu’un cercle blanc bordé de rouge est une interdiction, quelle qu’elle soit. Et quand c’est défendu, c’est défendu, POINT ! Même s’il n’est pas interdit de donner une explication :

Ici, « Propriété privée, défense d’entrer », c’est un « sens interdit » parce que il s’agit d’une propriété privée où il est défendu d’entrer ; implicitement, les propriétaires ont la permission de violer le sens interdit. Et là, le rond rouge sur fond blanc, c’est « interdit à tout véhicule », avec un texte en surimpression « Accès formellement interdit », sur lequel on peut épiloguer (il fait penser aux « ICI, vente d’œufs frais du jour » de Fernand Raynaud), mais qui semble revenir, avec moins de d’explications, au panneau précédent : si un véhicule en venait, on se dirait qu’il s’agit de quelqu’un à qui, nonobstant l’interdiction formelle, l’accès a été « formellement » autorisé.

Bref, en France, nous sommes dans le symbole net, clair, cartésien, se suffisant à lui-même, valant à lui seul mieux qu’un long discours. Si ce n’est pas clair, que nous ne l’avons pas compris, et que, par malheur, nous l’avons violé, nous ne pouvons que nous en prendre qu’à nous-mêmes : « Nul n’est censé ignorer la loi ».

Et puis, après les panneaux d’interdiction « ronds cerclés de rouge » et de fin d’interdiction « blanc barrés de noir », il y a chez nous les panneaux d’obligation « ronds bleu », ceux de fin d’obligation « ronds bleu barrés de rouge », d’indication, « carrés blanc bordés de bleu », de recommandation, « carrés bleu », etc… On apprend tout cela au code de la Route, et, pour avoir dû repasser notre code il n’y a pas si longtemps pour nos permis motos, on sait qu’il n’est pas facile d’assimiler tous ces symboles !

Aux USA, il y a aussi de nombreuses interdictions bien sûr, mais c’est beaucoup plus explicite chez eux ! Il n’y a pas de symbole général exprimant une interdiction ; les panneaux sont explicatifs : au lieu d’un chiffre au milieu d’un rond rouge pour les limitations de vitesse, on trouve un panneau qui exprime en clair qu’il s’agit d’une limitation de vitesse : « speed limit 35 », ou « speed limit 80 »… Il faut juste savoir qu’il s’agit de « Miles per hour », ici 56 et 130 km/h, mais les compteurs des voitures comportent tous depuis longtemps la double échelle mph/kmh. Notamment parce que les modèles sont conçus pour être commercialisés aussi au Canada ou au Mexique.

Et puis, pour maximiser les chances d’empêcher les conducteurs distraits de monter à contresens sur les autoroutes, en plus des panneaux classiques de sens interdit , on multiplie les panneaux « WRONG WAY » (« contre sens » !).

On nous précise de la même façon que la vitesse est surveillée : même et y compris par des avions ou hélicoptères qui survolent l’autoroute en permanence, ou bien qu’il est interdit de se servir de dispositifs antiradars (mais la plupart des Etats les autorisent !). Et quand nous, en France, on ne sait pas trop combien ça coûte si on est surpris en excès de vitesse (sauf si cela nous arrive souvent !), aux Etats Unis, c’est écrit en toutes lettres que les excès de vitesse peuvent coûter très cher. Chez nous en France, chaque conducteur doit avoir en mémoire tout cela ; ici, tout est expressément rappelé en toutes lettres : « Plus de 50 km/h au-dessus de la limite : jusqu’à 10.000 $ d’amende, retrait immédiat du permis et saisie du véhicule » ; c’est-à-dire que c’est la même punition que chez nous, sauf que là-bas, tous les 50 km, on nous le rappelle par ces panneaux ! On précise même que blesser ou tuer un ouvrier sur la route peut coûter jusqu’à 7.500 $ d’amende, et surtout 15 ans de prison, ou bien que les PV doublent dans les zones en travaux.

It’s the law !

Mais ce qui nous a le plus frappés, c’est la façon dont les interdictions sont formulées sur les panneaux le long de la route : « It’s the law », « C’est la loi ». « Bouclez votre ceinture… it’s our law » (chez nous au Nouveau Mexique),  « Mettre sa ceinture, c’est une loi avec laquelle on peut vivre ! » (en Virginie), « Ralentissez et dépassez les véhicule de service… it’s the law » (en Ontario), – « N’envoyez pas de sms en conduisant… it’s the law » (au Wyoming). Et même, dans le parc du Yellowstone, « it’s unlawful to throw objects into the pool », « il est illégal de jeter des objets dans les mares » ; ou bien, à l’entrée d’un musée : « contenance maximum du musée : 749 personnes ; au-delà, c’est dangereux et ILLEGAL » ! Chez nous, on dit plutôt « Défense de », ou « INTERDIT » ; ici, c’est « it’s the law », avec ou sans référence au texte de loi en question. Franchement, on s’en moque un peu, nous les Français, que cela soit « légal » ou « illégal » ; on veut bien comprendre que cela soit dangereux, voire interdit, mais « illégal » ? Je pourrais passer à autre chose en avouant que « illégal », aux Etats Unis, c’est un synonyme de « interdit » ? Mais vous êtes-vous jamais posés la question de savoir pourquoi on dira plutôt chez nous qu’il est « interdit » de stationner ici (et pas « illégal »), et plutôt « illégal » de frauder le fisc ou détenir de la marijuana plutôt que « interdit » ?

Aux Etats-Unis, il faut donc tout un long texte pour dire que la capacité d’une salle est limitée à 749 personnes. En France, un simple petit panneau suffit à expliquer quelque chose de beaucoup plus compliqué : la capacité du bus est limitée à 59 personnes assises et 29 debout, ou, s’il y a 4 sièges de moins, 55 personnes assises et 29 debout, ou, s’il y a 1 personne en fauteuil roulant à la place des 4 sièges enlevés, 55 personnes assises, 22 debout.

En revanche, j’avoue que je ne saurais pas trop, malgré tout mon esprit synthétique typiquement français, comment faire un schéma compréhensible pour expliquer ce qui suit aux automobilistes américains !

Les sanctions

Nous avons déjà vu que les amendes encourues pour excès de vitesse sont bien détaillées sur le bord des routes. C’est aussi le cas pour bien d’autres infractions, notamment pour les jets d’ordures, le « littering », qui coûte, si nous sommes pris la main dans le sac, de 300 à 1.000 $ selon les Etats ; ou jusqu’à 500 $ si on se trouve piégé par les embouteillages au milieu d’un carrefour : il nous a paru très pédagogique de rappeler toutes ces sanctions, comme le souligne par exemple cet avertissement sur le vol à l’étalage !

La délation

« Et si nous sommes pris la main dans le sac ? ». Eh bien oui, on se fait facilement prendre la main dans le sac aux Etats Unis, où l’appel à la délation fleurit sur toutes les routes, dans tous les Etats.

« Report drunk drivers »

D’abord pour les conduites en état d’ivresse. Les panneaux comme ceux-ci se retrouvent partout, dans tous les Etats : « dénoncez les conducteurs ivres ». On peut se demander d’ailleurs sur quels critères les dénonciateurs se basent pour dénoncer des automobilistes « ivres », « impaired », littéralement : « pas dans leur état normal » ; l’infraction « DWI – Driving While Impaired » est l’équivalent de « conduite en état d’ivresse », et celle de DUI – Driving Under Influence celui de conduite sous influence d’une drogue : un simple soupçon après une manœuvre imprudente ? En France, on n’est pas présumé ivre avant d’avoir soufflé dans le ballon ! Aux Etats Unis, le site de la Police explique : « What to do if you see a Drunk driver, endangering your friends and loved ones ? » (Que faire si on voit un conducteur ivre, qui met en danger la vie de vos amis et de vos bienaimés ?) ; « And now, you can help get a dangerous driver off the road » – « Maintenant, vous pouvez aider à débarrasser la route d’un conducteur dangereux » – « Faites le, peut-être allez vous sauver une vie ». On relève alors le numéro, la marque, le modèle, et la direction de la voiture en question, on appelle le numéro marqué sur le panneau, on dit où l’on est et on décrit précisément ce qu’on a vu. La dénonciation est garantie anonyme (« Remember: You do not have to give your name when you call 911! »). « Et laissez la suite aux héros qui travaillent dur à rendre les routes plus sûres ! ». C’est toute une culture… qui ne permet pas souvent d’arrêter un vrai délinquant, mais qui rassure les gens honnêtes et donneurs de leçons !

« Crush crime » et « Crime Watch zone »

On trouve aussi le panneau « CRUSH CRIME », avec un numéro de téléphone, qui vise carrément toutes les infractions. Il y a aussi appel à dénonciation pour préserver par exemple la propreté des grottes de Carlsbad, ou pour les dépôts d’ordure sauvages. Certaines communes, ici dans l’Ontario au Canada, offrent même des récompenses aux dénonciateurs : « We pay cash for tips – Crime stoppers ! ».

Et puis bien sûr il y a toutes ces communes « Neighbourhood Watch organized against crime », qui affichent dès qu’on y pénètre la présence de « CRIME WATCH ZONE », avec un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres, qui nous regarde dans l’ombre fixement, et semble dire « Défense à Dieu d’entrer » (La Légende des Siècles – Victor Hugo) : les riverains sont appelés à se tenir aux aguets ; tout étranger est épié derrière les rideaux, et dénoncé en cas de comportement suspect.

La mode envahit aujourd’hui la France avec les dispositifs de « participation citoyenne » mis en place avec les Gendarmeries : ils visent, en termes choisis à « accroître la réactivité des forces de sécurité contre la délinquance d’appropriation ». C’est ainsi que se sont multipliées les zones « Voisins attentifs et solidaires », présentées comme « un dispositif d’entraide entre voisins pour rétablir le lien social et assurer la sécurité de chacun », visant notamment à « alerter sur un comportement suspect laissant penser à des rôdeurs ». Que d’euphémismes fleuris pour appeler à la délation ! On n’a pas tant mauvaise conscience de l’autre côté de l’Atlantique !

La culture de la délation

Lors de nos grandes discussions avec Dan, au pied du Lincoln Memorial à Washington, nous lui avons fait part de notre stupéfaction de découvrir cet appel général à la délation : chez nous en France, nous apprenons dès la petite enfance qu’un dénonciateur est un rapporteur, un cafteur, un mouchard, un cafard, une balance, un traître, un Juda, passible des plus graves punitions comme l’exclusion de la bande et la mise en quarantaine : il est écrit très tôt en lettres d’or dans nos consciences morales que « on-ne-dénonce-pas ! ». Peut-être cela date-t-il de l’Occupation, pendant laquelle tant de drames se sont noués autour de la dénonciation d’un Juif, d’un gaulliste, d’un trafiquant du marché noir ou d’un résistant : les héros étaient ceux qui résistaient à la torture sans rien lâcher ; les balances, on leur a fait la peau après la Libération.

Et puis aujourd’hui, les valeurs se brouillent. Ou bien ce sont les valeurs américaines qui s’éloignent des valeurs européennes. Wikipédia nous apprend que la délation est une dénonciation « méprisable », « pour un motif contraire à la morale ou à l’éthique » ; et qu’il ne faut pas confondre la délation avec la dénonciation d’infractions, qui, quant à elle, a ses héros. Bon, bien sûr, tout dépend de l’illégitimité de l’infraction dénoncée. Quand Vichy appelle les résistants des terroristes, les dénonciations des balances, à défaut d’être légales ( !), ne sont-elles pas tout à fait légitimes ? Faut-il aujourd’hui dénoncer les migrants illégaux comme hier les Juifs qui se cachaient en France ? Notre pays hésite ! Alors que depuis 1995, la police peut légalement rémunérer ses indics, Le Parisien nous annonce en 2015 que le fisc aussi va rémunérer les dénonciateurs. Et on réfléchit en France à donner un statut protecteur « aux lanceurs d’alerte », ces dénonciateurs des infractions commises par les administrations ou les grandes entreprises.

Le problème se pose dans les mêmes termes aux Etats Unis, dont on voit bien l’embarras à poursuivre Bradley Manning, cet analyste militaire qui transmet à Wikileaks des documents militaires classifiés sur les dégâts collatéraux des combats en Irak et Afghanistan : condamné pour trahison à 35 ans de prison en 2013, celui qui est devenu Chelsea Manning est libérée dès 2017. Il en est de même pour l’informaticien travaillant pour la CIA Edward Snowden ou le cyber-militant Julian Assange, les fameux lanceurs d’alerte ou « ré-équilibreurs de niveaux d’information » : poursuivis tous deux par la justice américaine, ils ont obtenu à l’étranger le statut de réfugiés politiques et accumulent les prix et distinctions saluant leur travail et leur courage de dénonciateurs.

Délation. Le Parisien 5/12/2015

Le système de mesures : le « United States Customary Units »

Cela fait longtemps (1982, sous Reagan) que les Américains ont renoncé à passer au système métrique, pour des raisons essentiellement politiques : il faut avouer que le système venait d’Europe ; il aurait donc été décidément « antipatriotique » de l’adopter, voire définitivement « communiste » de tenter de l’imposer à un peuple tout entier au seul motif futile qu’il aurait été « plus commode » ! Alors, aux Etats Unis, si le Dollar est divisé en cent « cents » décimaux depuis sa création en 1785, on continue à compter en pouces, pieds (12 pouces), yards (3 pieds), miles (5.280 pieds…), livres (16 oz), acres (43.560 pieds carrés), gallons (8 pints de 16 oz) et degrés Fahrenheit. Enfin, tout au moins au niveau de la vie du commun des mortels ; parce qu’il y a longtemps que les militaires, les scientifiques, les médecins ou les industriels ont adopté le système métrique international. Et que tous les conditionnements de produits en supermarché indiquent aussi les poids et volumes en système métrique.

Le grand respect des Américains pour la loi et les juges

Le plus étonnant, c’est le rapport que les Américains semblent avoir avec « la loi » en général.

J’avais déjà appris avant de venir, que la loi et les juges bénéficient aux Etats Unis d’un immense respect. Pas tout à fait comme en France. Ce n’est pas, qu’en France, on ne respecte pas la loi, mais la perspective est différente. Moi, Français, ma religion en matière de loi, ce serait plutôt « Fais ce que tu veux ! » ; je pense que tout Français a un goût certain pour la transgression : l’important, c’est de savoir où sont posées les limites fixées par la loi, et, le cas échéant, le plus important, c’est d’avoir conscience de les franchir ; c’est être bien mauvais citoyen que d’enfreindre la loi sans même penser l’avoir fait ! Le bon citoyen connaît donc la loi ; et il accepte de prendre le risque de l’enfreindre. Le bon citoyen fraude le fisc autant qu’il peut en toute bonne conscience, l’Etat est un voleur, c’est de bonne guerre. Et si la loi te punit, il ne fallait pas te faire prendre, c’est mérité. Aux Etats Unis, « it’s the law », point, il est incivique de violer la loi !

Autre exemple : en France, il est par exemple permis (voire recommandé par son avocat) de mentir (éventuellement par omission) à un juge dans la mesure où c’est nécessaire à sa propre défense : on n’est pas obligé de se donner des bâtons pour se faire battre. Aux Etats Unis, on jure sur la Bible de ne dire que la vérité, toute la vérité ; si on ment, même par omission, il s’agit de la grave infraction d’outrage à magistrat, voire de parjure, dont la sanction peut être beaucoup plus lourde que la peine encourue pour l’infraction. Rappelez-vous : Bill Clinton, dans le cadre de l’instruction d’une affaire “Whitewater”, a failli être révoqué de son poste de Président pour avoir nié sous serment à la police avoir eu des relations sexuelles avec Monica Lewinski. Et c’est la raison pour laquelle la femme de ménage qui disait avoir été agressée par Dominique Strauss Kahn avait été déboutée : elle avait menti par omission sur la façon irrégulière par laquelle elle avait obtenu son permis de séjourner aux Etats Unis ; l’affaire s’était réglée à l’amiable. Dans les deux cas, les « mensonges » avaient alors pollué l’ensemble des dossiers, alors même qu’ils n’avaient rien à voir avec l’objet des plaintes. Mentir à un juge est un crime suprême aux Etats Unis !