Vous aurez remarqué que je maîtrise maintenant parfaitement l’espagnol, et prie mes lecteurs non hispanisants de demander à un proche de leur traduire le titre.
L’intérêt de n’avoir pu traverser l’Algérie - au moins pour un « tour de la Méditerranée » ! - était également de parcourir la côte méditerranéenne de l’Espagne, que nous avions quittée à Barcelone en novembre dernier pour filer vers la Castille, et où nous n’avions jamais posé les roues. Cette côte est réputée touristique, enchaînant, du Sud vers le Nord, les « Costa del Sol », « Costa Blanca », « Costa del Azahar » et « Costa Dorada ». Mais au mois de mars, la météo est encore loin d’y être estivale - même si, pour la première fois depuis notre départ, nous avons pu sortir, parfois, les chemisettes dont nous pensions faire grand usage - et l’urbanisation frénétique des côtes les rend finalement peu attirantes si ce n’est pas les plages qui vous attirent ; de véritables murs d’immeubles longent les côtes dès qu’il y a du sable, et les autoroutes ou les voies ferrées quand il n’y en a pas. Dans les environs d’Almeria, le spectacle des cultures sous serres vaut le détour : ce sont de véritables mers de plastique qui ont recouvert la quasi-totalité de la campagne ; et en apprenant un peu de ce qui se passe à l’intérieur (pour des recherches plus précises, le mot clé est « El Ejido », du nom de la commune la plus concernée par le problème), nous prend l’envie de devenir écolo et nous perd celle de manger des fraises en hiver ! Et du côté de Gandia, sur la nationale qui traverse des océans d’orangers au Sud de Valence, ces dizaines de belles jeunes filles blondes qui s’assoient au bord de la route, sur une chaise, plus nombreuses que les stands de vente d’oranges, ce n’est apparemment pas uniquement pour parfaire leur bronzage !
En revanche, nous avons été séduits par les grandes villes qui jalonnent ces côtes. L’Alcazaba de Malaga (port de l’ancien Royaume de Grenade), les immeubles XVIIIème et la médina d’Almeria, le vieux quartier des soyeux de Murcie, les mille facettes de l’immense Valence, le passé romain de Tarraco, les musées de Barcelone…. Elles gardent chacune des traces d’un lointain passé phénicien, punique, romain ou arabe, tout en ayant accumulé les trésors depuis le Moyen Age et font preuve de beaucoup de vitalité jusqu’à aujourd’hui (Exposition universelle, Jeux Olympiques, Coupe de l’America, …).
Véronique m’avait déjà parlé avec une étonnante émotion des « pasos » de la Semaine Sainte en Espagne, mais il faut en voir au moins un pour comprendre le problème, sachant qu’à partir du cinquième, on le résout en l’appelant « mystère ». Vous entendez l’appel des tambours de fort loin ; la foule s’épaissit à l’approche ; deux ou trois rangs de spectateurs debout font la haie depuis longtemps et ne vous laisseront le passage qu’à la condition de rester accroupis à leurs pieds. Après fanfares, ecclésiastiques, chorales et enfants de chœur sous des croix et torches brandies, arrive la première statue - plus souvent un ensemble de plusieurs statues. On l’aperçoit de loin, balançant au-dessus de la foule silencieuse. Elle est portée sur un brancard équipé de bras de cinq à dix mètres de long reposant sur les épaules de trente à cinquante jeunes gens marchant d’un même et tout petit pas au son des tambours. Pas un mot à son passage, pas de chants, quelques flashes, mais surtout du respect, de la ferveur, de la piété. Les figures des porteurs, quand elles ne sont pas recouvertes du masque des pénitents, reflètent l’honneur qui leur a été fait de porter le paso. Dans les églises attendent leur tour de promenade les grandes croix, les pieta, les madonna, les nostra signora et autres Christ souffrant, que les fidèles peuvent venir toucher en se signant. Le spectacle est à l’évidence religieux ; mais la ferveur est paradoxalement récupérée par l’ensemble de l’économie espagnole, avec plus ou moins de bon goût comme en témoignent quelques photos jointes : il n’y a guère de vitrine ou de bus qui n’affiche une des images de la Passion pour vanter un nouveau prêt bancaire, une robe de mariée ou un robot ménager ! Sans que cela ne semble choquer qui que ce soit.
C’est sur cette côte enfin que nous aurons fait notre baptême à la voile sur la mer ! A notre âge ? Eh oui, les terriens que nous sommes n’avaient encore jamais fait cette inoubliable expérience ; merci à Jacky pour la ballade au large de Villa Joyosa ! L’expérience maritime sera d’ailleurs renouvelée sur les ferries qui nous emmèneront vers l’Italie - elle est étonnement plus loin qu’on le croyait ! - mais ceci est une autre histoire !