Complainte de notre Honda
1/ Sur la route d’Ouest en Est de Nice à la Caspienne
J’étais tranquille à Nice à frimer sur la plage
Quand j’ai été vendue à une bande de sauvages
Qui se sont associés pour aller à Versailles.
Du haut de mes 10 ans ça n’disait rien qui vaille
Mais c’était un hors d’œuvre, et le pire arriva :
Quatre sexygénaires ont rempli tant mon coffre
Que mes sièges en cuir. Vautrés comme des beaufs
Ils filèrent fin Juin vers l’Italie, Florence
Roulant comme des fous pour traverser la France.
Ils n’étaient pas très gros, mais mes amortisseurs
En ont pris plein le dos par ces quatre agresseurs
Qui roulèrent jusqu’aux Pouilles et quand vint Brindisi
Me chargèrent comme un sac dans un ferry pourri.
Je me suis sentie mal en arrivant en Grèce
Ce pays en faillite me donnait chaud aux fesses :
Serais-je prise en otage, ou brûlée, ou volée ?
Bien pire : ils m’ont plantée au parking du Pirée
Et m’ont laissée toute seule trois mois de canicule
Perdue parmi un tas de très grecs véhicules
Et de manifestants qui hurlaient tout autour.
Je me suis demandée : quand reverrai-je le jour ?
Et puis le 7 octobre deux Perrin s’sont pointés.
Comme si de rien n’était ils m’ont faite démarrer
Moi, qui suis bonne fille, je leur ai obéi
Pas pour aller très loin: encore dans un ferry !
Il s’est mis à pleuvoir en arrivant à Chios
Parlez-moi des iles grecques et je deviens féroce !
Le lendemain matin nous passions en Turquie
A Izmir comme ailleurs il pleuvait des hallebardes
Fallait faire attention je les ai mis en garde
Mais mes deux compagnons visitaient des tas de pierres
Quand moi je surnageais en faisant des prières
Pour qu’un peu de soleil sèche enfin cette route
Avant que ce périple ne finisse en déroute.
Enfin il a fait beau et je dois avouer
Que la côte sud des Turcs est pittoresque à souhait
Ce pays de bosseurs a des routes superbes
J’en ai oublié Nice et ses vieilles rombières.
A Adana – étrange – Marc me laissa tomber
Préférant un vieux car à mes sièges ouatés !
Seule avec Philippe qui conduit comme un dingue
Je me demandais bien comment – à tout berzingue –
Finirait ce périple qui s’enfonçait vers l’Est
Et puis surprise un jour – c’était à Gaziantep,
S’est pointé l’proprio que j’n’avais jamais vu
Un dénommé Bernard, un genre d’hurluberlu
Arrivé de Beyrouth va donc savoir comment?
Tout ce que j’ai compris c’est qu’ils avaient le temps
Et que la randonnée n’était qu’à ses débuts.
Aucun n’a demandé mon avis : y’a de l’abus !
C’est moi qui fait l’boulot, qui roule nuit et jour
Et qui dors dans la rue encore et toujours.
J’ai très vite compris que mes deux conducteurs
Voulaient – tout en flânant – rouler jusque vers Van
Pour y récupérer l’un et l’autre leurs dames.
Van ! Quelle étrange idée, je n’sentais pas le coup
Dans ce genre de patelin la terre bouge beaucoup
On y a passé deux nuits où je tremblais de peur.
Sitôt quitté le lac, un séisme majeur
A détruit en partie cette ville, et les morts
Y furent plus de 500, on a eu chaud au corps !
Arrivés au fin fond de l’Est de la Turquie
Je me suis dit quand même ils ne vont pas aussi
Aller jusqu’en Iran dont la réputation
Suscite des réserves, voire désapprobation.
Eh bien si ! Ces cinglés ont même fait plusieurs heures
La queue dans une douane qui n’sentait pas l’bonheur
Là ces quatre naïfs ont pris un passager
Qui se prétendait guide mais était un benêt
Avec qui j’ai connu les pires des malheurs :
Il ne connaissait ni le pays, ni les heures.
Cet idiot a rempli mon réservoir d’gazole
Je n’ai rien voulu dire et donc – comme une folle
J’ai roulé avec ça sur 300 kilomètres
En toussant en fumant, de façon à émettre
Un signal aux patrons qui ne comprenaient rien.
Arrivés à Tabriz, Je m’suis dit ça va bien
Je m’arrête et je meurs c’est triste et c’est trop bête
Et là, le pseudo-guide dénommé « Bicyclette »
A trouvé un malin qui m’a enfin comprise
Qui purgea l’infection et permit la reprise.
J’ai failli embrasser ce mécano fortiche
Mais ça aurait vexé mes passagers godiches !
Le temps s’est rafraîchi et – grimpant les montagnes
Nous avons vu la neige par-dessus la campagne.
Là dévalant des cols sur des routes très traîtres
Nous sommes descendus jusqu’à moins 27 mètres
Nous étions arrivés au bord de la Caspienne.
C’est vraiment casse-pied sous la pluie la Caspienne
C’est gris, c’est inondé, j’ai bien regretté Nice.
Le bon point dans tout ça – et même un vrai délice –
C’est qu’à partir de là nous repartions vers l’Ouest
Enfin, il était temps, ça me prenait la tête !
Si l’inspiration vient je vous dirais la suite
Mais soyez très patient ce n’est pas pour de suite !
Enfin le soulagement après ce long silence que les évènements de Van ont rendu pesant – Je vous adresse à tous deux, mes bien sincères condoléances et espère et souhaite que la suite de votre périple ne vous apporte que des aventures “gérables”… décidément, rien ne manque à la panoplie des évènements lorsque vous entreprenez de partir !!! Je dégusterai les dernières photos dès que possible… un régal chaque fois … merci – La Complainte m’a beaucoup plue et j’espère que votre Honda nous contera bien vite la suite… A très bientôt de vos nouvelles… Bien amicalement A de M
Cher Bernard Cher Philippe,
le récit de votre périple me “transporte ” littéralement: souffle coupé devant les paysages grandioses du lac de Van, des routes, émotion à la vue du Tigre… de Harran, et lieux qui évoquent Abraham, et surtout de ces monastères assyriens témoignant d’une présence chrétienne dans la Turquie de l’intérieur!!
Vos photos sont excellentes! Les récits aussi et j’ai apprécié de voir la carte mais à la fin du diaporama, dommage …
Quant à la complainte de la Honda, on reconnait la patte du fameux rimeur de Mauvent , souvent copié , jamais égalé- mais surtout question bagnole ça s’y connait !!! Et autres side -cars, on l’a vu !
Please continuez à écrire, à décrire, à capturer ces beaux paysages qui alternent avec des détails de vie : la votre, et celle des populations rencontrées. C’est extraordinaire, on vous suit, à l’autre bout du monde mais si proche aussi grâce à ce blog, un grand merci pour le temps que ça vous prend.
les admirateurs immobiles sont là, et vous envoient un grand bonjour affectueux,
Je suis une admiratrice aussi inconditionnelle que silencieuse… Depuis votre départ Pierre me fait suivre tous les mails, et je m’extasie quand vous vous extasiez, j’ai froid dans vos paysages enneigés, je me réfugie dans les cafés et hôtels où vous vous posez, je prie presque dans les monastères où vous entrez, je scrute les objets ou décors que vous photographiez, je compatis quand les obstacles viennent vous entraver, je ris quand vous riez, je m’énerve quand vous vous énervez, je ris aussi quand vous râlez…
Bref, par vos mails vous m’enchantez, continuez à nous émerveiller, à nous faire partager l’aventure que vous vivez, à bien vous porter, à moral garder.
Je vous embrasse Anne F
Cher Bernard, Cher Philippe,
comment vous remercier de nous faire vivre ces plongées – avec vos photos, magnifiques- en Arménie, en Georgie. Maintenant Erevan, Tbilissi, Trabzonde , ces noms de villes lointaines, ont un visage, pour nous.
J’aime ces photos de villes, où nous pouvons nous faire une idée, ces photos réalistes, où nous voyons des hommes et des femmes vivre, vendre , acheter, traverser des rues., s’échouer sur un banc public, ..ces photos de monuments, de places…
Quant aux paysages , aux monastères vus de haut, aux routes enneignées, ils me font frissonner…. grandioses !
Ce qui me touche le plus ce sont ces églises, et l’iconostase que nous retrouvons aussi en Europe….!!! Nous occidentaux n’avons pas le monopole de la foi, et bien au contraire, d’autres, plus courageux sans doute, nous ont précédés. Merveille à méditer en ce temps de l’Avent.
Que DIeu vous bénisse dans votre route!