Enfin des nouvelles ! Nous vous écrivons d’Erevan, la capitale de l’Arménie, où nous sommes arrivés il y a quelques jours déjà, le temps d’abord de visiter Erevan et ses environs immédiats avec nos épouses, puis de les remettre dans l’avion pour Paris hier matin, et enfin de nous mettre au travail. La Maman de Véronique étant décédée il y a deux jours, elle rentrait juste à temps, et je la rejoindrai sous peu à Paris pour quelques jours, en espérant pouvoir terminer l’illustration de notre beau voyage en Iran ! Mais en attendant, voici déjà celui de la Turquie du Sud Est.
Quand on quitte Adana et le delta du Seyhan en Cilicie pour franchir vers l’Est la chaîne du Nur Dagi, celle-là même qui domine l’Oronte, on pénètre dans un monde radicalement nouveau. Là commencent les grandes plaines situées au Nord des déserts syrien et irakien, au pied du plateau anatolien et des montagnes complexes du sud du Caucase ; elles s’étendent jusqu’aux monts Zagros, à 2.000 km, qui marquent la frontière entre les mondes persans et arabes. C’est par là que sont passés – et que se sont battus ! tous les grands envahisseurs Perses, Parthes ou Seldjouks vers l’Ouest, Grecs, Romains, Byzantins ou ‘Croisés’ vers l’Est, Hittites ou d’Ourartou vers le Sud, Égyptiens ou Arabes vers le Nord. On y trouve de l’eau à profusion, qui descend des montagnes, comme notamment l’Euphrate et le Tigre. Toutes les villes qui s’y sont construites ont été de grands carrefours de civilisations, des centres commerciaux accumulant richesses, châteaux forts et caravansérails depuis des millénaires. La position géographique de cette région en fait, aujourd’hui encore, un lieu de tension entre les peuples et leurs religions. C’est dès Osmaniye qu’on aperçoit de la route les premiers fortins de l’armée turque en proie à la rébellion kurde ; les défilés qui remontent des plaines vers le lac de Van (1.700m) sont tous les mois des coupe-gorges pour l’armée turque et ses supplétifs kurdes ; un miroir a été passé sous notre voiture quand nous sommes allés chercher nos épouses à l’aéroport de Van, et des soldats en armes contrôlent toutes les routes sous un trafic important d’avions et d’hélicoptères armés.
Les quelques communautés chrétiennes que nous avons pu rencontrer dans le Tur Abdin (Midyat, Mar Yakub, grecques orthodoxes ou syriaques) sont malheureusement en voie d’extinction malgré une importante aide venue de l’Occident, dans d’admirables églises et monastères.
Nous avons eu la chance de parcourir – beaucoup trop vite ! – cette région par un temps frais et lumineux nous immergeant dans ces terres et cieux immenses. Après les mosaïques de Zeugma du musée d’Antep – surnommée ‘Gazi’, combattante pour la foi (Gaziantep), après sa résistance héroïque aux troupes franco-anglaises lors de la chute de l’empire ottoman (1920) – nous avons fait une première incursion sur le plateau anatolien en escaladant le Nemrut Dagi (2.150m), au sommet duquel se trouve un invraisemblable mausolée (cf. photo de couverture de l’album 5 ci-joint) construit par un petit roi de Commagène en 50 BC. Du sommet, on peut apercevoir tout en bas les méandres de l’Euphrate dans le lac Atatürk que nous avons traversé en redescendant dans la plaine. L’antique Edesse, aujourd’hui SanliUrfa, est encore plus animée que Antep ; les musulmans – surtout chiites venus d’Iran – y révèrent le lieu de naissance d’Abraham. Pour nous chrétiens, la patrie d’Abraham n’est pas loin non plus, à Harran, à une quarantaine de kilomètres vers le Sud, là où la Bible nous dit que Isaac, puis Jacob, sont venus chercher leurs épouses Rebecca, Léa et Rachel. Urfa, c’est aussi un bazar ‘magique’, centre de la ville sociale de la ville. Le lendemain, poursuivant la route de la Soie, nous dormions dans l’invraisemblable Mardin, accrochée sur un promontoire en face de l’immense plaine, patrie des tailleurs et sculpteurs de pierre jusqu’à Constantinople. Avant de nous enfoncer, cette fois pour de bon, sur les hauts plateaux, nous avons fait deux courtes escales à Midyat et au monastère de Mar Yakoub dans le Tur Abdin, où survivent des communautés chrétiennes syriaques que nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer.
Après avoir traversé le Tigre dans le site spectaculaire de Hasankeyf, nous avons emprunté les gorges qui remontent vers le lac de Van situé à plus de 1.700 m d’altitude. En plein pays kurde en émoi du fait des combats faisant rage entre les Turcs et leurs frères réfugiés en Irak, la présence militaire se faisait lourde, avec les blindés tentant de se frayer un chemin à travers la transhumance de dizaines de milliers de moutons qui empruntaient l’autoroute! Le débouché sur le lac de Van fut un éblouissement, les eaux du lac reflétant aussi bien les couleurs d’automne que les neiges qui couronnaient les sommets dès 2.200 mètres. Ce fut l’occasion de tester la voiture sur les routes enneigées jusqu’aux lacs de cratère du Nemrod Dagi à 2.600 m. La route jusqu’à Van, aux bords du lac, continua l’enchantement : petite ballade d’une heure jusqu’à l’église arménienne de St Thomas d’Altinsaç, et passage au large de l’ilôt d’Akdamar avec sa belle église consacrée en 921 où nous avons confondu un temps la pyramide enneigée du volcan Süphan Dagi (4.058m) que nous avons pris pour le Mt Ararat ( !), se reflétant si bien dans les eaux du lac ! Preuve était néanmoins faite que nous avions atteint un des cœurs de l’Arménie historique, constituée autour des trois grands lacs de ce Caucase méridional : celui de Van en Turquie, d’Ourmiah en Iran, et de Sevan en Arménie. Mais il n’existe plus dans cette partie de la Turquie la moindre trace de communauté arménienne résidant sur place…
C’est alors que nos épouses Véronique et Marie nous ont rejoints par avion de Paris. Après le tête à tête avec Marc pendant la première semaine, puis celui avec Bernard pendant la seconde, voilà que nous nous trouvions en ménages pour quinze jours ! C’est ici l’occasion de dire que, au moins jusqu’à présent, aucune de ces trois cohabitations ‘dans l’habitacle’ n’aura été pesante ; chacun trouve sa place dans ce qu’il sait faire ; la conscience de la chance que nous avons de voyager dans ces conditions nous fait bien volontiers céder sur les points de détail qui pourraient nous opposer ; et quand nous avons dû prendre la décision, au milieu de notre séjour iranien, de rompre avec notre agence de tourisme iranienne et de renvoyer notre ‘guide’, et donc quand la tension est montée d’un cran, chacun en a accepté les éventuelles conséquences… qui se sont surtout traduites par une nouvelle liberté !
Dès leur arrivée à l’aéroport de Van, nous avons donc emmené nos épouses visiter la célèbre et splendide église de la Sainte Croix sur l’îlot d’Akdamar par un temps radieux, puis la Citadelle de Van. Le lendemain, elles ont préparé leur ‘tchadors’ pour se couvrir la tête dès l’entrée en Iran. Nous étions accueillis à la douane par les portraits des Ayatollah Khomeiny et Khamenei après avoir emprunté la large vallée qui conduit de Turquie en Iran. Le tremblement de terre de Van en ce 23 octobre – qui vous a fait trembler pour nous – a eu lieu pendant que nous attendions à la douane (cinq heures de formalités… on oublie toujours que, alors qu’on nous dit que ‘tout est fini vous pouvez y aller’, il reste encore, aux barrages ultérieurs, à payer une taxe pour rouler sur les routes du pays, puis à prendre une assurance aux tiers) : nous n’avons absolument rien senti !
Pour plus de détails sur notre voyage, cliquez sur la légende de la petite photo en tête de l’article (“De la route de la Soie au plateau Anatolien”); elles vous donnent accès à un ‘Album Picasa’ dont les (trop nombreuses !) photos sont abondamment légendées : Bonne lecture ! Et merci pour vos éventuels commentaires !