J15 – Pingyao
Encore une superbe journée ! Le grand beau temps se maintient, beau et froid, les lacs et flaques gèlent la nuit, et dégèlent un peu pendant la journée. Après avoir repris le « Bullet Train » à Xi’an, et traversé pendant 2h30 la campagne aride du Shanxi à 240 km/h, nous sommes ce soir à Pingyao, le point le plus au nord de notre périple, et il reste un peu de neige fraîche de trois jours au pied des murs. Nous qui craignions de passer un mois complet dans le smog national chinois, nous avons pour l’instant surtout profité d’un gros soleil, veinards que nous sommes !
Pingyao est une petite ville de 40.000 habitants dans la province du Shanxi (ne pas confondre avec celle du Shaanxi, où nous étions hier !), fondée du temps de l’empire Qin, celui de l’armée de terre cuite, deux siècles avant JC ; il ne reste rien de cette époque, si ce n’est une solide réputation, pour ses habitants, d’être de très habiles commerçants. Ils eurent une immense période de gloire commerciale au XIXème s., puis tombèrent dans l’oubli… dans un oubli tel que les Gardes Rouges de la Révolution Culturelle ne sont pas venus détruire leurs temples, pagodes et remparts. Vingt ans plus tard, la nouvelle Chine se dit qu’il y avait là un trésor touristique à exploiter.
Quelques 5.000 habitants vivent encore derrière les six kilomètres de remparts en terre recouverts de briques datant des Ming (XIVème s.), au milieu d’une campagne agricole toute plate. Un petit Brouage qui aurait traversé les siècles, en quelque sorte. Le taxi nous a déposés au large de la porte Sud, nous avons traversé les douves puis foncé sans hésiter dans des ruelles en tirant nos valises, sonné à un portail, et nous sommes retrouvés au moyen-âge, dans des chambres donnant directement sur une cour pavée, précédée elle-même de deux autres cours pour accéder à la rue, une de ces « siheyuan » typiques de la Chine, où les maisons sont organisées en cours successives correspondant aux différentes activités de la cellule familiale.
Gardienne des traditions de la Chine ancienne, Pingyao présente notamment aux visiteurs le fonctionnement des tribunaux civil et pénal de la ville avant la Révolution (encore que la prison y ait fonctionné jusque dans les années soixante…), ce qui inclut aussi bien les pièces de la procédure que les instruments de torture appliqués aux mis en examen, ou d’exécution pour les condamnés au carcan ou à la mort ! « Pour être prospère, il suffit d’entrer dans la bonne administration, de rendre hommage aux immortels, et de réussir sa carrière » s’affichait à l’entrée des bureaux ! Et de nombreuses pagodes célèbrent ici ces immortels, qui sont soit les dieux de la ville, soit de grands philosophes comme Confucius, maître de l’enseignement en Chine pendant plus de deux millénaires.
la grande rue nord-sud de Pingyao, avec ses toits typiques de tuiles grises
Yamen Street et ses boutiques colorées
Merci au soleil hivernal, la ville doit être sinistre dans le smog !
dans le « Temple des Dieux de la Cité », ici celui de la Richessedans le même temple, celui de la Cuisine
un arbre âgé de 600 ans dans les jardins du Yamen, ancien siège du gouvernement de la province
deux « naïnai » (grands-mères) se chauffant au soleil rue Shiyuan Jie
promenade sur les remparts au coucher du soleil
la pharmacie où Véronique a acheté son 3ème flacon de sirop pour la toux !
Demain matin, nous terminons notre visite de Pingyao par les traces de ses succès du XIXème siècle, et revenons coucher à Xi’an avant de repartir le lendemain matin pour le vertigineux mont Huashan, 80 km plus à l’Est.
Bonne nuit à tous !
Poème de route n°15 de Bernard :
Partie 1 :
Nous sommes dans le train dénommé ‘bullet train’,
C’est-à-dire TGV, qui au petit matin
Relie en 2 heures 15 Xi’an à Pingyao
Soit 500 km. Dehors il fait très beau,
J’en profite pour vous expliquer le réseau
Partagé entre trains classiques, très rétros,
Qui se traînent surchargés, jour et nuit sur leurs lignes
Et desservent les villages où les gens font des signes,
Et le nouveau réseau de trains ultra-rapides,
Copie des Shinkansen japonais, intrépides,
Qui évitent les villes, leurs gares sont plantées
Au milieu de nulle part sur leur réseau dédié,
Souvent reliées au centre par un métro moderne.
Ces trains sont destinés à compléter l’avion
Ou peut-être le tuer à cause d’la pollution
Et des aéroports trop petits, saturés,
Cherchant en vain un site où se développer.
Car les Chinois voyagent : les trains sont tous complets
Trois semaines à l’avance il faut bien réserver
Sinon vous êtes cuits et vous restez à quai !
Nous avons une fois pris un train distingué
Avec des wagons-lits spéciaux pour VIP
Nous y avons dormi, bercés comme des bébés.
J’ajoute à ce tableau l’extrême propreté
Des trains, des gares aussi, même les cabinets
Quant aux lignes elles-mêmes, nous sommes époustouflés
Par les tunnels nombreux et les voies surélevées
Construites à toute allure ces dernières années
Qui vont droit dans les plaines ou quand c’est vallonné
Je vous quitte, on arrive (250 à l’heure).
Encore une étape franchie comme dans du beurre
Sur les 7500 km du parcours
Que nous espérons faire pendant notre séjour.
Partie 2 :
Et voici Pingyao, au soleil (mais pas chaud)
Petite ville entourée de remparts et d‘eau
Un genre Carcassonne en plaine, dans les terres
Le point le plus au nord de notre itinéraire
C’est un endroit charmant quoique gris, toits et murs
À cause de l’argile locale c’est bien sûr.
La couleur on la trouve sur les temples, des maisons
Mais l’ensemble, qui est vide en cette basse saison
Ne fait guère rêver même si les hôteliers
Se sont décarcassés pour nous très bien loger
Dans leur maison ancienne où il y a trois cours
Six clients, nous compris, pour tourner c’est trop court.
Nous avons visité des temples aux dieux vengeurs
Et aussi le palais de l’ancien gouverneur
C’est dans ce coin perdu que fut créée la banque
Et les effets de commerce, c’était une bonne planque
Derrière ses remparts avec ses défenseurs
Venus dans cette ville pour y trouver l’bonheur.
Demain retour à Xi’an par le train à nouveau
Juste pour une nuit, profitons, il fait beau.
J16 – Pingyao
Grasse matinée ce matin, ce n’est pas coutume ! C’est qu’ici, le point le plus au nord de notre périple, le soleil se lève tard, et qu’il est inutile d’attaquer notre « travail » de touristes (ne rigolez pas, c’est un vrai travail ! Saviez-vous que le mot anglais « travel » – voyage – partage la même racine ?) tant que le soleil n’est pas suffisamment haut. De plus, nous nous sommes couchés relativement tard hier soir, avec la chaude ambiance de l’excellent restaurant que nous avions trouvé par hasard
nos voisins de table
Ce matin, la ville est particulièrement enfumée ; c’est qu’il fait un froid de gueux, et que tous les habitants se chauffent et cuisinent sur des poêles à charbon qui empestent.une cuisine de rue devant la “Tour du Marché”
Nous essaierons les masques prêtés par l’hôtel, mais c’est très inconfortable ! Nous restons un long moment au siège de l’ancienne banque Rishengchang, très célèbre en sont temps, même si ses locaux paraissent aujourd’hui très modestes. Je parlais hier de la réussite financière de Pingyao au XIXème s. C’est un M. Lei Lütai qui fonde la banque dès 1824. Il a en effet l’idée de remplacer les lingots d’argent qui servaient jusqu’alors à se faire payer le sel dont Pingyao avait obtenu le monopole impérial depuis les Ming (XIVème s.), par des lettres de change. Le succès est immédiat. Lei Lütai obtient dans la foulée l’affermage d’impôts impériaux. Ses amis et parents se lancent également dans ces activités très lucratives. Dès 1850, la moitié des banques de l’Empire du Milieu ont leur siège à Pingyao, et nombre d’entre elles ont ouvert des succursales au Japon ou en Russie.
Ce succès est fondé sur une morale qu’on dirait chez nous janséniste : rigueur, travail, économie, probité, sérieux, le tout dans un confucianisme très conservateur. Le siège social ne paie pas de mine, mais on y compte très rapidement sur des “bureaux-bouliers”,
On stocke les lingots d’or et d’argent dans la cave, on forme les jeunes
il y avait même encore un jeune étudiant en tenue de l’époque impériale !
Le musée présente tous les types d’opérations commerciales, les archives, les traites et billets aux porteurs, les bureaux tels qu’ils étaient au moment de la faillite en 1912. Les employés dormaient sur place, leur lit chauffé par en-dessous.
Le “kang” – le lit – leur sert de siège
Et tout ce siège social était organisé en cours hiérarchisées comme dans tout siheyuan, avec un merveilleux soin du détail dans l’ornementation. Pour les transports de fonds, ils disposaient d’escortes armées dignes de nos convoyeurs :
type de chariot tout terrain longue distance
J’arrête là ! Il est trop tard ! Le réveil est mis à 5h45 demain matin. Il y aurait encore tant à raconter ! Ce sera pour plus tard, sur le blog !
Bonne nuit !
“Poème de route n° 16” :
Pingyao fut naguère capitale des banquiers
La première en 1823 fut créée
Il y eut fin XIX° soixante concurrents
Inventifs, audacieux, couvrant l’Extrême-Orient
Chine, Japon, Russie. Mais au tournant du siècle
Ce système bloqué fait faillite et s’écroule
Sauvant ultérieurement la ville de Pingyao
Des Gardes Rouges fana de l’époque Mao
Qui n’ont rien démoli de ce capitalisme
Historique, qui avait démarré en cuisine.
Nous avons fait le tour de quelques établissements
Devenus des musées qui célèbrent l’argent :
Comment ces banquiers-là grâce aux lettres de change
Étendaient leur emprise par ce moyen étrange.
Après avoir appris comment gagner d’l’argent.
Nos épouses sont allées faire le tour des marchands
Pour des achats secrets destinés au retour
À nos petits-enfants qui sont nos grands amours.
Pour finir la journée train rapide pour Xi’an
Demain une autre histoire, nous allons à Huà-Shǡn.